Journal du festival

Billet du jour

©Jean-Jacques Brumachon - Salam - 13 copie
18 septembre

Salam, Agur

Rémi Rivière

Ce n’est pas parce que le festin est copieux qu’il faut en refuser les mignardises. En l’occurrence, le fraternel Salam, de la Compagnie NGC25, tombe sous le sens de la programmation de cette 32e édition du Temps d’Aimer la danse, en promettant même la synthèse d’une réflexion artistique sous jacente : la danse qui nous unit, qui abolit les frontières et fait voler, corps et âmes, dans une liberté impérieuse. Après onze jours de festival et près de 80 rendez-vous, on peut pourtant craindre l’écueil du lieu commun. Mais il suffit de planter la “complexité de faire la paix” et d’aller éprouver ces belles idées du côté de Ramallah, dans les territoires occupés. Pour louer la création contemporaine israélienne, chaque année à Biarritz, sait-on seulement comment les jeunes palestiniens s’ouvrent à la danse ? “Sur Internet” répond Hervé Maigret. Le chorégraphe de la Compagnie NGC25 est allé sur place, constater les difficultés sociales et admirer le dynamisme de la danse. Il est revenu avec deux danseurs illustrant cette école palestinienne de bric et de broc, adepte de dabké, une danse traditionnelle, comme de danses urbaines. Mais hors de question de les contraindre, ne serait-ce qu’à une chorégraphie. Plutôt les grandir sur le plateau en les confrontant à deux autres danseurs, l’un français, l’autre équatorien et un musicien qui construit sa musique en direct. La pièce s’est construite sur cette rencontre des corps et des langages, sur ces quatre personnalités qui finissent par faire ensemble. “Le corps ne ment pas” a coutume d’asséner Hervé Maigret, soucieux d’en déceler l’histoire. En l’occurrence, les histoires qui rapprochent plutôt que celles qui séparent. L’humanité, la solidarité, la liberté pour effacer les conquêtes et les combats de possession. L’histoire de la Palestine est aussi celle de l’humanité, relativise le chorégraphe. “On joue avec les frontières, on réduit, on rejette” énumère t-il. Et ce besoin de pouvoir, de conquête, de richesse. “C’est quoi notre frontière ?” questionne t-il. A l’inverse, la danse est le jeu du déséquilibre. Le faire l’amour, peut-être, comme un bonobo qui voudrait la paix sociale. Une manière de briser les tabous et de sauter les frontières, les murs ou les checkpoints. De reprendre possession de la terre, dans un cercle rassurant. Hervé Maigret n’oublie pas ce rapport à la terre, la terre arable, fertile, du paysan, dont les colons israéliens arrachent les oliviers comme on veut anéantir la culture. La terre qui propulse aussi, qui porte le pas du danseur et lui transmet, justement, les vibrations de son histoire. Installée en Bretagne, la Compagnie NGC25 a l’habitude de questionner l’humain dans son environnement, pas tant pour savoir si le bipède moyen s’épanouit dans son milieu naturel mais plutôt pour cerner “l’effet miroir de la nature” et son influence sur la danse. Hervé Maigret a même organisé des “expéditions artistiques” dans la jungle amazonienne, pour y danser. “C’est l’angle de vue du sensible qui permet de bouger les choses” clame t-il. Et puis ses hymnes, qu’il recueille comme une récompense, dans la portée symbolique d’un geste, en guettant le sacré en chacun, c’est-à-dire l’universel, au-dessus des tabous et des engeances. Le festival pourrait faire corps autour de cette idée, ce Salam qui veut dire “paix” et qui permet aussi de se saluer. Un agur basque, qui permet de rentrer dans la ronde des musiciens de Bilaka et de la troupe Amalabak eta seme, cet après midi sur le parvis du Casino. Un salam-agur lancé hier soir par Julen, danseur basque du Malandain Ballet Biarritz, qui expliquait son émotion de voir les danseurs du ballet interpréter des danses de chez lui, en déduisant qu’ils étaient donc chez eux. La danse redéfinit les frontières, la terre et les identités. Salam, agur. C’est l’avènement du Temps d’Aimer.

1gigabarre2
17 septembre

La transition entre dans la danse

Rémi Rivière

En se déclarant l’an dernier “éco-responsable”, le festival le Temps d’Aimer a innové dans son engagement formel en faveur de l’environnement, en amorçant une première réflexion sur la place du spectacle vivant dans la transition écologique. Bien sûr, on ne parle pas ici de petits gestes citoyens —il y a belle lurette que Thierry Malandain fait la chasse aux lumières allumées et trie méthodiquement les poubelles du ballet. Plutôt d’une organisation et d’une réflexion globale pour engager la transition écologique dans le spectacle vivant. Quel est le bilan carbone d’un spectacle ? Et bien tout dépend d’abord de la façon de le concevoir, des décors, des tournées, des moyens techniques et de ces petits riens qui finissent par faire tout. Mais comme les danseurs ne voyagent pas en jets privés, il apparaît clairement que le premier impact carbone d’un spectacle, comme les plus belles histoires d’amour, c’est vous. Prenons le théâtre de la Gare du Midi, qui était bondé hier soir et décortiquons les trajets de ces 1300 spectateurs à la louche. Nul besoin d’aller plus loin dans l’étude, tout le monde sait que la grosse majorité de ce public a utilisé une voiture, avec parfois la circonstance atténuante de covoiturer. Le festival offre pourtant le bus à tous ses spectateurs et déplace ses spectacles dans tout le Pays Basque, jusqu’à Mauléon ou Saint-Jean-Pied-de-Port. Difficile d’aller au-delà sans directement détourner un bus de chronoplus ou creuser des autoroutes cyclables dans l’agglomération. Mais le ballet étant dépourvu de pelles, le festival se contente de prendre sa part de colibri : ses organisateurs roulent à vélo, artistes et techniciens ont leur gourde, la restauration des loges est assurée par un épicier bio et local, les impressions sont limitées au nécessaire, on peut payer en eusko, la monnaie complémentaire locale, et même l’encre de cette gazette, que vous recyclerez peut-être, est entièrement d’origine végétale. N’ayant pas vocation à forer pour exploiter du gaz de schiste, le festival s’attache donc désormais à améliorer les pratiques du spectacle vivant et particulièrement de l’art chorégraphique. 
Dans ce registre, les rencontres professionnelles qui sont organisées aujourd’hui s’annoncent passionnantes et promettent, outre de continuer à sensibiliser la profession, de “réfléchir à la mise en œuvre rapide et communes d’actions concrètes”. Passé le temps du diagnostic, l’an passé, place cette année à l’action. C’est en tout cas l’idée de Monique Barbaroux qui pilote ces rencontres, avec la double casquette de membre du Conseil d’Administration du Malandain Ballet Biarritz et d’ancienne haute fonctionnaire du ministère de la culture, déléguée à la transition éco-responsable. Et la facilité supplémentaire d’évoluer dans un monde de la culture “déjà très sensible aux questions environnementales”. “Quelque chose est en marche” estime t-elle. Avec toutefois des divergences dans le monde des musiques actuelles, des musées ou du cinéma —les bons élèves—, ou celui du livre ou de l’architecture et du design, —qui trainent encore la patte. Cette journée sera l’occasion d’échanger sur les pratiques, d’appréhender les dispositions actuelles du gouvernement, —par exemple les contraintes du ministère, qui, sous forme de bonus-malus, auront un impact dans la création—, de discuter fabrication économe de décor mais aussi impact environnemental des nouvelles technologies numériques qui se développent dans le spectacle vivant ou encore nourriture, avec par exemple la mise en place d’une plateforme de références pour alimenter les cinémas de produits sains et bios. Surtout, il s’agit dans l’immédiat de mettre en œuvre l’Objectif 13, un projet de recherche-action interrégional qui propose un diagnostic et un outillage pour décarboner le spectacle vivant et dont le CCN Malandain Ballet Biarritz est l’un des acteurs. Reste que, contrairement à l’industrie pétrolière, l’art chorégraphique n’est pas tant attendu sur ces mesures que sur sa capacité à transformer les imaginaires, à construire de nouveaux récits, à être un vecteur essentiel de la transition. 
En prenant le trait de côte de la grande plage pour horizon, le Temps d’Aimer érigera demain matin un festival écoresponsable sur l’Esplanade du Casino, avec des animations organisées par des ONG et un ramassage écocitoyen, pour joindre, comme de bien entendu, le beau geste à la parole. Même la Gigabarre, animée par le maître de Ballet du CCN, sera dédiée à l’océan. Sur l’Esplanade du Casino, le Centre de formation en danse de l'Ecole de Ballet-Studios de Biarritz prendra le relais, avant que le collectif After ne lance les promesses d’un nouveau monde possible. Il s’agira ensuite de danser pour la planète, des mutxiko, avec Amalabak eta Seme et les musiciens du Collectif Bilaka. De quoi introduire le spectacle du Casino qui clôturera cette scène thématique avec Salam, une pièce sur la fraternité et la paix, par la Compagnie NGC25. Une nouvelle histoire est en marche. La danse est le formidable vecteur d’un imaginaire enfin vertueux pour la planète. A condition, bien sûr, que ceux qui la portent soient exemplaires.

Yarin_GermánAntón10
17 septembre

Processus de pas

Rémi Rivière

Depuis le temps que le festival loue la diversité des styles, le croisement ou le butinage, il devient impérieux, à l’heure de tirer le rideau, d’en célébrer la vigueur et la joie. Ou pour le dire comme le poète Edouard Glissant, qui était mercredi au centre de la pièce Tout-Moun de la compagnie Viadanse, la créolisation. Un terme qui désigne, non pas le croisement ou la fusion de cultures, mais le lieu de pollinisation où elles se rencontrent, sans rapport de domination, sans crainte de se perdre, sans métissage mais façonnant, dans leurs vigueurs respectives, un édifice inédit. Le penseur martiniquais, disparu il y a douze ans, aurait adoré le final de ce Temps d’Aimer. D’abord parce que cet ami de notre barde, Beñat Achiary, y aurait retrouvé le fiston, Julen Achiary, en maître de cérémonie et unique bande son. Ensuite, pour ce dialogue des cultures, entre le flamenco et la danse basque, qui restent entiers dans leur essence, se toisent, se frottent, s’apprivoisent sans se perdre. Bien sûr, il faut entendre ce chant gitan, mauresque ou mozarabe parler basque. Le flamenco est déjà un créole, tout comme la danse basque qui a pris et donné, au point que son fandango désigne aussi des danses populaires espagnoles, portugaises et même flamenco. Mais les deux danseurs sur scène ne sont pas là pour faire un inventaire, plutôt pour engager un dialogue dans leur langue respective et cheminer en paix vers un jour nouveau ou chacun serait revigoré de la culture de l’autre. Un processus de paix finalement, entre le basque et l’espagnol, pour devancer en pointillé la sérénité politique qui tarde à gagner la péninsule. Ou un processus de pas puisqu’il est question, entre ces deux figures emblématiques de leur art, de tracer une route inédite de golpe, de Jauzi, de punta et d’entrechats. Jon Maya le dantzari et Andrés Marín le bailaor. Le premier, qui a fait sa réputation de danseur basque en survolant les aurresku, est depuis plus de vingt ans un chorégraphe majeur de la scène basque, après avoir donné une impulsion contemporaine à la danse traditionnelle. Il est aujourd’hui chorégraphe associé au Malandain Ballet Biarritz. Le second est son pendant andalou, qui a développé une écriture singulière pour explorer la tradition flamenca dans une esthétique contemporaine. Et l’un des danseurs flamenco les plus éminent de la scène actuelle. Ce duo talon-pointe pose les bases de sa rencontre sur un respect mutuel, comme la première condition du dialogue et de la surprise qui va naître. Andrés Marín loue la danse et la culture basques, ses racines profondes, sa « primitivité » et ses belles dispositions à bouturer. Jon Maya évoque les racines flamenca, la mémoire de cette danse et sa propension à s’ouvrir à d’autres influences. La rencontre peut commencer… Yarín, contraction de Maya et Marín, n’est donc pas une fusion mais une discussion, déjà complaisante, entre deux danseurs qui s’estiment et se reconnaissent. Cette pièce, créée lors de la Biennale de Séville, le plus prestigieux festival flamenco, s’engage donc d’abord sur la connaissance et la compréhension de l’autre. Il faut d’abord se dévoiler pour s’apprivoiser. Comprendre l’alphabet de l’autre avant de cheminer. Aligner deux personnalités différentes. Et regarder dans la même direction. Yarín est la promesse d’un lendemain qui danse, entre entente, complicité, respect. Cette question de mémoire qui interroge les danses traditionnelles. Ces racines distinctes qui se consultent pour appréhender ensemble leurs branches et les feuilles et les jeunes pousses. C’est le « chaos » que convoquait Édouard Glissant comme processus de création imprédictible. Avec leurs pas respectifs, Jon Maya et Andrés Marín tricotent de l’affection et une croyance, enfin, dans des formes traditionnelles qui ont toute leur place dans le monde contemporain.

IMG_6229_CMJN
16 septembre

Fandango Flamenco

Rémi Rivière

Après un vivifiant Fandango, qui lançait hier soir la pièce Gernika du collectif Bilaka, il est peut-être temps de s’attarder sur cette danse et sa mythologie, dans une fresque qui permettrait de se dégourdir les méninges et éventuellement les gambettes. Éventuellement, car au cœur de ce ¡Fandango!, présenté ce soir au théâtre de la Gare du Midi, il y a le légendaire coup de talon de David Coria et une puissance flamenca qui risque de déconcerter les ardeurs basques et, à tous les coups, de bouleverser quelques idées reçues. Comme si l’on retournait la péninsule ibérique pour étudier cette danse dans chaque province espagnole —et même au Portugal— au point d’en “symboliser le folklore”, appuie l’ancien premier danseur et chorégraphe du Ballet Flamenco d’Andalousie. Le fandango comme patrimoine traditionnel espagnol, comme fête totale, comme illustre parent du Flamenco et finalement comme “richesse universelle”, devient bien vite une clameur, à la lisière des danses espagnoles, des danses traditionnelles et de leur modernité. 
Pour David Coria, le flamenco est depuis belle lurette ce langage ancien qui parle à notre temps. Pour avoir grandi dans la tradition, il n’en a pas moins travaillé avec des chorégraphes à la marge. Né à Séville il y près de quarante ans, dans le berceau du flamenco, il a débuté à quinze ans sa fulgurante carrière de danseur au sein de la Compania andaluza de danza, avec passage remarqué dans le film de Carlos Saura, Salomé. Mais il a aussi travaillé avec les plus grands noms du Flamenco, les danseurs et chorégraphes Andres Marin, Rocio Molina, Maria Pages, Rafaela Carrasco et vole depuis plus de quinze ans de ses propres ailes, avec l’amplitude qu’on leur connaît. De cette expérience complète, biberonné par les plus grands, il retient une tradition de son temps, une grammaire ancienne qui fait le langage d’aujourd’hui. Une langue en constante évolution qui parle de nos besoins. “Le flamenco est toujours en cours d’élaboration” explique t-il, en l’élevant au rang “d’art polyvalent”. Suffisamment polyvalent pour s’attaquer, dans ce spectacle total qui mêle également musique et théâtre, à la vision de l’Espagne, à ses clichés et à ses réalités. Autant dire que ce voyage à bord de l’express ¡Fandango! va traverser sur les talons les peintures pittoresques d’une mémoire collective confrontée à ses propres clichés, d’une Espagne profonde, machiste et rustique, fière comme un taureau et enfin, encline à la fiesta et à la célébration. Voilà pour la fresque goyesque de cette corrida, jaillie d’une bande-son. Dans ce lien intime qui unit, dans le flamenco, les danseurs et les musiciens, c’est le chanteur David Lagos qui, le premier, a ouvert les hostilités avec le disque Hodierno. Monstre sacré de la musique Flamenca actuelle, c’est lui qui est l’inspirateur de cette pièce créée il y a deux ans et déjà bardée de prix, dont celui prestigieux de meilleur spectacle à la Biennale de flamenco de Séville. Le festival le Temps d’Aimer, qui a toujours gardé une solide connexion avec le flamenco, pousse cette année le bouchon en coproduisant, avec cette même biennale de Séville, une mise à nue et en lumière de la danse flamenca, Desde mis ojos, avec la danseuse Eva Yerbabuena et le danseur, chorégraphe, metteur en scène et musicien d’origine basque, Juan Kruz Diaz de Garaio Esnaola. Cette pièce sera créée demain soir à Biarritz, alors qu’Eva Yerbabuena vient de recevoir, jeudi dernier, le prix Giraldillo international à Séville “pour sa recherche constante de nouveaux langages et son travail incessant dans la formation et la transmission de la danse”. Pour faire bonne mesure, le nouveau chorégraphe associé au CCN Malandain Ballet Biarritz, Jon Maya, créera ce 29 septembre, toujours dans le cadre de la biennale de Séville, une pièce intitulée Yarin, avec l’un des plus emblématique chorégraphes du flamenco, Andres Marin. Le fandango flamenco de David Coria annonce peut être une alliance fertile entre le Pays Basque et l’Andalousie.

STB_7989
16 septembre

Mise en abîme

Rémi Rivière

La danse a t-elle des devoirs envers son environnement ? Pas la peine de plancher sur le sujet, nous n’avons plus deux heures pour mégoter entre thèse et antithèse, la réponse est « oui ! ». La danse, comme tout spectacle vivant, a même davantage de responsabilités que le pékin moyen et doit d’abord, comme ce dernier, mesurer l’impact de ses actes sur la société et, par les temps qui courent, éteindre la lumière en quittant le studio. Face à l’urgence climatique et au devoir impérieux envers, cette fois, l’environnement, on devrait pourtant espérer qu’elle allume la rampe et mette en lumière une réflexion de fond pour aborder un bouleversement de société, qu’il soit contraint, pour le pire, ou construit, pour le meilleur. Il ne s’agit plus ici de prendre sa part de Colibri —les mesures sont en cours au sein de ce festival qui réduit son empreinte écologique davantage chaque année et mène réflexion pour élargir ces pratiques au sein de tous les acteurs du spectacle vivant. Mais plutôt de s’engager, avec la puissance de feu de la scène, dans l’édification d’un imaginaire ou d’un lendemain qui danse. Le Temps d’Aimer l’océan est une déclinaison concrète de cette volonté d’orienter le plateau vers les problématiques de notre temps, à portée de bras. « Une vraie source d’inspiration » résume Claire Nouvian, marraine de ce dimanche de festival à la plage. Si elle trouve la « démarche exemplaire », la fondatrice et présidente de l’association Bloom, qui œuvre à préserver les écosystèmes marins, a aussi fait une incartade dans un emploi du temps chargé pour sa sensibilité à la danse classique et contemporaine. L’émotion est une arme massive et imparable. Claire Nouvian y croit, après bien des désillusions, notamment sur le plan politique. « La fonction première de la culture est de créer un récit » appuie t-elle. « C’est par la culture qu’on se saisit des problèmes et c’est par là qu’on trouve des solutions » ajoute t-elle. Une question de narration et de confrontation qui nourrit les « animaux culturels et sociaux » que nous sommes. Claire Nouvian croit d’autant mieux à cette nécessité d’alimenter les imaginaires que son militantisme, sa soif d’expliquer et de convaincre, est passée par une expérience éphémère de la politique. « J’ai toujours dit aux politiques qu’ils oublient de se nourrir de culture et c’est pour cela qu’on ne les écoute plus ». L’art sait figurer les problèmes de société et en explorer les ressorts. Le spectacle vivant en clamer les enjeux, s’en enduire et appréhender, si ce n’est une issue, au moins une croyance sincère. Une démarche que le chorégraphe Martin Harriague ne saurait dissocier du rôle d’artiste. Le chorégraphe de la pièce Of prophets and puppets, qu’il présentait hier soir au théâtre du Casino, n’en démord pas et défend depuis toujours la nécessité de « donner envie aux gens de s’impliquer ». « A quoi sert un artiste s’il ne s’engage pas ? » questionne t-il. En pleine agitation des pantins de Donald Trump et de Greta Thunberg sur scène, il revendique la nécessaire place de l’artiste, « pas pour affirmer mais pour interroger » plaide t-il. A l’heure où ces espaces semblent se réduire, Martin Harriague voudrait remettre le curseur entre les deux Bob —Dylan et Marley. Ce garçon aime bien mêler les arts. Demain, le trait de côte entre le Casino Bellevue et le Casino municipal fera l’union entre ce désir profond et la croyance qu’un petit peuple dansant au pied de la grande plage peut soulever des montagnes. Martin Harriague, Claire Nouvian et Thierry Malandain inaugureront demain ce Temps d’Aimer l’océan qui débutera par un réveil des corps dansé face à l’océan, dès 9h. Un éco village éphémère sera dressé face à la grande plage, investi par une dizaine d’associations environnementales. Le public est également invité à prendre part à une performance sur le sable aux côtés des danseurs du Malandain et des membres des associations, en venant marcher, déambuler ou danser sur une ligne longue de 50 mètres de long pour y dévoiler le vivant, saisir sa fragilité et sa capacité à se recomposer, aussi têtu que le sable qui se remodèle à chaque pas. Une performance que clôturera Aureline Guillot, ancienne danseuse du Malandain Ballet Biarritz, en posant ses pas sur ceux du public. Une riche programmation de musique ou de danse tentera de briser, tout au long de la journée, le silence de la mer. Et même la Gigabarre de l’Océan, qui sera animée à 11h par Richard Coudray, maître de ballet du Malandain Ballet Biarritz, devient un ballet nautique en quatre actes, comme un voyage fantastique au plus près d’une des espèces les plus fragiles et les mieux protégées de cette astucieuse mise en abîme.

_DSC7511
15 septembre

L'aventure humaine

Rémi Rivière

Cela aurait pu être la pièce la plus subversive du festival. En ce jour précis de manifestations féministes, ce manuel de dressage de femmes, programmé au Théâtre de la Gare du Midi, aurait été la promesse d’un rappel en musique à l’ordre austère du XVIe siècle. Mais la comédie de William Shakespeare, La mégère apprivoisée, pourrait aussi bien changer d’intitulé dans la création de Jean-Christophe Maillot, qui préfère en réécrire la morale, en proposant à cette fameuse mégère un compagnon enfin taillé pour l’aventure et aussi rétif qu’elle aux exercices de domptage. En plongeant dans la narration avec un ballet classique, le directeur des Ballets Monte-Carlo impose un genre de comédie musicale qui, à l’inverse du livret original, devient une ode à l’amour intransigeant. Ce dépoussiérage vigoureux fait voler la morale Shakespearienne, jugée « insupportable » par Jean-Christophe Maillot, libère cette pauvre Katharina qui se morfondait depuis quatre siècles avec un mari comme il fallait, mais garde les archétypes des relations amoureuses comme matière d’étude dans une perspective toujours actuelle. Disons-le sans spoiler, le tableau est optimiste et clame, comme dans Cendrillon, que chacun peut trouver chaussure à son pied. Tout dépend de la pointure et de l’ambition. Dans cette pièce en deux temps, il s’offre le luxe de multiplier les couples comme autant d’exemples d’arrangements entre adultes. Katharina peut donc reprendre confiance et reste cette femme « exceptionnelle », qui réfute les règles sociales et la médiocrité et ne mettra fin à la solitude dans laquelle le maintien « son caractère épouvantable » qu’au prix d’une rencontre rare, coup de foudre, fusion, relation instinctive. Et puis il y a Petruchio, taillé dans le même bois, qui se joue des conventions avec malice pour maintenir son désir intact. Ces deux-là se reconnaitront au premier regard. Citons également dans le désordre, Bianca, bien sûr, la sœur cadette qui cumule fortune, grâce, beauté et docilité, Gremio, qui pense que son argent fait tout, Grumio, le valet couard, Hortensio, le beau gosse amoureux de lui-même, une veuve très consolable pour peu qu’elle retrouve son monde et Lucentio le gendre lisse et parfait. La comédie peut commencer dans un ballet exclusivement narratif —sans danse superflue—, qui raconte ce chassé-croisé prometteur sans les mots. 
Pour Jean-Christophe Maillot , qui « ne juge jamais les intérieurs ni les couples », la nouvelle morale de cette histoire relève davantage d’une ambition que d’une leçon. Là où les couples se construisent par intérêt, l’amour le plus complexe, le plus improbable, le plus exigeant devient « idéal ».  Un thème que le chorégraphe pourrait tirer de son propre récit. Bien avant de la créer en 2014 pour le Ballet du Bolchoï et quelques-uns des ses 260 danseurs, Jean-Christophe Maillot a imaginé cette Mégère apprivoisée il y a 23 ans, pour l’une de ses danseuses, avec laquelle il vient de convoler en justes noces il y a quelques jours. L’allégorie de cet amour exigeant devient une sorte de règle de vie, qu’il applique à sa gestion parfaitement libre des Ballets comme à sa relation avec les danseurs. Les Ballets de Monte-Carlo sont ce havre de paix qui échappe, depuis 32 ans qu’il les dirige, aux politiques culturelles successives qui, en France, font et défont les projets et sabrent les ballets. Dans une principauté de seulement 36 000 habitants, les Ballets de Monte-Carlo sont à la fois le temple de cette tradition et une ambassade dans le monde. Leur budget n’a jamais souffert la moindre condition ni suscité le moindre commentaire. Cette constance est gage d’une parfaite autonomie et permet de faire vivre le genre mais aussi de constituer cette redoutable armée de danseurs —cinquante à Monte-Carlo—, qui peuvent passer indifféremment de solistes à corps de ballet. Dans cette belle famille, chaque danseur partage un moment de vie, dans le souci constant de son désir. Pour cette raison, Jean-Christophe Maillot ne souhaite pas créer pour des compagnies dont il ne connaît pas les danseurs. Cette parenthèse, il y a dix ans au Bolchoï, lui a demandé trois ans de rencontres régulières. Quant à la relation avec Biarritz, elle n’a même pas attendue l’installation de Thierry Malandain, avec lequel Jean-Christophe Maillot dit « partager le même ADN ». Les grands ensembles et la tradition du Ballet, c’était aussi la grande affaire de Jakes Abeberry, fondateur du festival Le Temps d’Aimer la Danse. Ces deux soirées virtuoses lui sont dédiées par le festival, sur fond de triomphe de l’amour le plus insensé.

©Christophe Raynaud de Lage_0304
15 septembre

Le basque c’est de l’hébreu

Rémi Rivière

Le final, c’est comme du Hofesh Shechter en danse basque” lance ce spectateur, en sortant ébloui de l’Atabal. La prestation de la Compagnie Kukai Dantza, dimanche soir, a fait des émules. Parmi le public connaisseur d’abord, qui voit évoluer, d’année en année, le chorégraphe basque Jon Maya et qui a été bousculé par l’explosion du cadre scénique et la déambulation des danseurs au milieu du public. Parmi les amateurs de danse venus d’ailleurs, qui perdent donc leur latin contemporain en cherchant un chorégraphe israélien qui parle basque. Et même parmi le monde professionnel où l’on se dit surpris qu’une telle proposition puisse venir de la danse traditionnelle. Il est donc temps de clarifier la novlangue qui pointe ou le fatras d’idées qui s’empilent dangereusement sur l’étagère, d’autant que la compagnie Kukai revient samedi soir, cette fois à Saint-Jean-Pied-de-Port et que s’annonce, ce soir à Biarritz, le collectif Bilaka et le danger imminent de faire passer le basque pour de l’hébreu. Disons-le d’emblée, les deux compagnies n’ont plus grand-chose à voir, dès lors que s’épluchent les relations entre les danses traditionnelles et contemporaines. La danse basque est contemporaine puisque elle est langage actuel, bien au-delà d’un parti-pris chorégraphique et il est donc vain d’opposer tradition et modernité. Jon Maya a été l’un des premiers, il y a une vingtaine d’années, à porter cette réflexion, en prenant appui sur la danse basque pour se proclamer danseur contemporain. Les enfants de Bilaka l’on fait sans réfléchir, quand la voie était déjà libre. Depuis, ils inventent une histoire chorégraphique singulière, dont la pièce Gernika, présentée ce soir dans le cadre du Temps d’Aimer, représente un jalon important. Gernika est une pièce dense et inventive, inspirée de la célèbre œuvre de Francisco Franco, qui plante justement la danse basque comme “ce qui nous fait”. Comme l’identité basque, elle est aussi “indestructible”, n’en déplaise aux obus en tout genre qui pèsent sur les danses ou les cultures traditionnelles. Avec l’ombre d’un célèbre tableau qui a marqué la peinture du XXe siècle, la pièce est également portée par deux auteurs contemporains, le musicien Stéphane Garin et le chorégraphe Martin Harriague, ancien artiste associé du Malandain Ballet Biarritz, élevé à l’école de la Kibbutz contemporary dance company, à Tel Aviv. Une nouvelle piste israélienne qui, finalement, raconte bien cet élan de la danse basque. Martin Harriague, danseur et chorégraphe si près du sol, a un rapport naturel avec la danse basque. “Les esthétiques se frottent” consent Zibel Damestoy, danseuse de Bilaka. “L’esthétique israélienne est proche de la notre” ajoute son collègue Arthur Barat, en enfonçant définitivement le clou. Car la danse basque est, au fond, comparable à la vivacité de la scène contemporaine israélienne. Il n’est que de constater le nombre de chorégraphe israéliens issus de la danse traditionnelle et qui prennent leurs appuis dans cette pratique. Certes, aujourd’hui, leurs créations sont mieux digérées, mais ils en ont déduit au moins ce langage proche du sol et quelques gestuelles qui surgissent parfois au gré des chorégraphies. Cette évolution préfigure peut-être les directions des compagnies professionnelles basques actuelles. Tout dépend finalement de la porte qui permet d’entrer dans la danse, pour le chorégraphe —comme pour le spectateur d’ailleurs. L’exemple israélien étaye finalement idéalement le propos actuel de la danse contemporaine basque. C’est en favorisant son développement qu’on en verra émerger la réflexion. Pour Arthur Barat, la chorégraphie de Martin Harriague a déjà permis de “développer l’écriture” du collectif. Le Ballet Malandain Ballet Biarritz vient d’accueillir le chorégraphe de Kukai dantza, Jon Maya, comme nouveau chorégraphe associé et s’est engagé à soutenir le collectif Bilaka pendant trois ans sous la forme d’un compagnonnage intitulé “artiste en territoire” qui dispense aides à la création, aides techniques et aides artistiques. Les conditions d’une pépinière pour que la danse professionnelle basque prenne son envol.

8J6A3182
15 septembre

Génies chorégraphiques

Rémi Rivière

Le Ballet de Wiesbaden est l’une des plaques tournantes du génie chorégraphique contemporain. Le Temps d’Aimer frappe cette année un grand coup en présentant un panel exemplaire de cette production, avec trois représentations et quatre programmes de haut vol, dont celui du basque Martin Harriague qui revient en trombe à Biarritz, façon balle de Jokari. De son vrai nom Hessisches Staatsballett / Wiesbaden – Darmstadt, au terme d’un mariage heureux entre les compagnies de Wiesbaden et de Darmstadt, la compagnie est résolument tournée vers les échanges et les collaborations. Sous la houlette de Bruno Heynderickx, elle invite, chaque année, au moins quatre chorégraphes, parmi les plus courtisés du moment, pour nourrir son armée de 28 danseurs. Outre Martin Harriague, qui ricoche dans cette programmation jusqu’à la plus grande porte, le ballet présentera les œuvres de Marco Goecke, ancien chorégraphe associé du Nederlands Dans Theater, Eyal Dadon, incarnant la nouvelle vague de la danse israélienne et Imre et Marne van Opstal, la fratrie qui fait aujourd’hui chavirer le monde de la danse.

Si Martin Harriague trouve aujourd’hui sa place dans cette programmation, c’est ironiquement parce que son travail est mieux perçu en Allemagne ou plus largement dans le nord de l’Europe. Il vient de créer la compagnie MH à Anglet, mais c’est ailleurs que se remplissent ses carnets de commandes. S’il est pourtant prophète en son pays, dans le sillage du Malandain ballet Biarritz qui l’a de longue date reconnu, il s’offre tout de même un sarcastique Of prophets and puppets au Temps d’Aimer. Mais pas pour aborder son vague à l’âme de créateur ; plutôt pour retrouver ses thèmes de prédilection que sont l’environnement et accessoirement ce fameux Donald Trump qui porte forcément les germes de la tragédie et du burlesque. Of prophets and puppets (« Des prophètes et des marionnettes ») est le titre d’un éditorial paru dans le journal anglais The Sun, comme une charge brutale et absurde contre la jeune Greta Thunberg. Avec la plasticienne du Malandain Ballet Biarritz, Annie Onchalo, il a donc imaginé deux marionnettes, grandeur nature, pour les faire se croiser un peu mieux que ce jour à l’ONU où les deux originaux n’ont pu échanger, la petite s’effaçant au passage écrasant du balèze et de ses gardes du corps. Après Walls et América, Martin Harriague signe ainsi sa troisième création épicée au Trump, version pantin donc. Ce qui pose un problème moral, non pas pour savoir qui, de Martin Harriague ou de la justice américaine, aura le premier la peau du républicain, mais pour imaginer comment animer ces effigies dans une pièce dansée. « J’ai des super danseurs et je leur fais faire des marionnettes » répond Martin Harriague, à la fois navré et facétieux. Il en sera pourtant pardonné, ce soir au théâtre du Casino. Car les danseurs gardent « l’intelligence du mouvement » et « la même implication » pour animer les deux poupées. Pour le reste, sur le ton du talk show américain, les dix danseurs de Wiesbaden ne se gêneront pas pour dynamiter le plateau et faire parler les corps. L’occasion, pour le public biarrot, est d’autant plus belle de suivre le travail de Martin Harriague, que ses deux représentations, ce soir à 19h et à 21h, seront précédées de la pièce Midnight Raga de Marco Goecke que les chanceux connaissent déjà depuis le passage éblouissant, il y a quatre ans, du Nederlands Dans Theater à Biarritz. Demain soir, le Ballet de Wiesbaden remettra le couvert au théâtre de la Gare du Midi avec un tout autre programme constitué de l’étonnant Boléro de Eyal Dadon et du très sensuel I’m afraid to forget your smile des frère et sœur van Opstal. En revisitant le fameux crescendo, Eyal Dadon lui donne la force de groupe qui est la marque de la danse contemporaine israélienne et cette prise à la terre qui devient aérienne. Il est aujourd’hui l’une des étoiles montante de cette école, après une carrière de danseur à la Kibbutz Contemporary Dance Company, où il a côtoyé Martin Harriague. Ce style affirmé se frottera à une autre école, tout aussi typée, des Pays-Bas, dans le sillage du Nederlands Dans Theater. C’est dans cette compagnie au rayonnement mondial que Imre et Marne van Opstal ont fait leur carrière de danseur, se frottant à toutes les grandes écritures chorégraphiques et qu’ils ont développé leur renommée de chorégraphes. Une écriture innovante qui repousse les limites connues de l’agencement des corps et s’affranchie même de leur intimité, notamment dans des duos créatifs. Une pièce épaisse dans l’univers qu’elle dégage et dans sa texture charnelle et poétique. Ou quand la puissance d’un Ballet se met au service de l’innovation contemporaine.

InComune-AmbraSenatore©BastienCapela
14 septembre

Sens commun

Rémi Rivière

Ambra Senatore revient au Temps d’Aimer dans un grand sourire communicatif, pour la troisième fois. La chorégraphe et meneuse du CCN de Nantes est devancée par le doux souvenir de ses pièces, malicieuses, parfois burlesques, pleines de chaleur et d’humanité. Cette envie de frotter les individus et une vraie posture de guerrière pour faire famille comme on fait corps face aux hoquètements du monde, ses conflits, ses horreurs, qui la touchent et la poussent —en réaction—, à implorer la cohésion. Une façon pour la chorégraphe et performeuse italienne de vaincre l’impuissance en opposant un modèle de société, un vrai, celui qui a bien dû faire souche, un jour, pour permettre aux fragiles hominidés de sortir de la nasse et de triompher de leur insupportable précarité, malgré cette navrante propension à s’entretuer. « Je n’arrive pas à comprendre comment l’être humain peut être si méchant » se désole Ambra Senatore. « Ni comment, par exemple, on peut ne pas comprendre la souffrance de tous ces gens qui se noient ! » ajoute t-elle en évoquant les migrants que l’on sait et dont le calvaire laisse indifférent. In Comune, qui sera présenté ce soir au Théâtre du Casino, devait être à l’origine « un travail sur la notion d’étranger » explique-t-elle. Mais il n’y avait plus d’étranger dans la troupe des douze danseurs de la pièce, ni même dans la salle de création dont la porte est toujours ouverte pour permettre l’interaction et entrebâiller le désir artistique au grand fracas extérieur. La chorégraphe se nourrit du réel, du tangible, et le groupe qu’elle a convié disait plutôt le bonheur d’être ensemble. « C’est facile on s’est choisi » reconnait Ambra Senatore. Une micro société, avec « son guide décrété » se présente t-elle, genre de premier ministre de cette confortable cohabitation, qui aurait pour plus grande mission « d’assortir le groupe ». Nul besoin d’ailleurs de convoquer Michel Barnier pour comprendre le grand intérêt de cette mission. Une question « d’urgence » pour la chorégraphe, tant que « l’être humain est agressif pour lui-même, pour les autres espèces et pour son environnement ». « Au moins pour préserver l’espèce » va t-elle chercher. La question est fondamentale, biologique même. Et de comparer le comportement humain à celui du loup, de la fourmi et de tout bestiaire qui démontre l’incohérence comportementale de se zigouiller soi-même. A la tête d’une petite société idéale de douze danseurs, Ambra Senatore se tourne vers le monde et les spectateurs avec empathie et besoin irrépressible d’agglomérer et faire communauté. A l’heure des grandes dissolutions et dans la convalescence de la crise du Covid, ce besoin dépasse les seuls plateaux et la figure imposée de l’individu dans le groupe. C’est même peut-être un signe des temps si l’on considère ce seul festival, sa manière de brasser les publics et de les réunir, sa propension à investir le territoire de la Communauté Pays Basque. Et son crû 2024 fait de grands ensembles, certes et aussi de collectifs artistiques, comme Bilaka, Kor’sia, FAIR-E, (La)Horde. Mais si la question est des plus sérieuses, la réponse d’Ambra la sénatrice est dans la délicatesse, dans le jeu, l’astuce et l’humour, qui sont l’expression pudique des beaux esprits. Décaler le sujet grave, c’est le rendre ridicule ou en faire triompher le contre exemple. Cela vaut dans la vie quotidienne et l’immanquable accrochage familial autour de la corvée de poubelle devient drôle si l’on applique la méthode Ambra. Du reste, elle précise que c’est elle qui trie le mieux les déchets. Au-delà des corvées domestiques, se sont les femmes d’Afghanistan ou d’Iran qui l’interpellent. Sa réponse n’est pas dans le sourire qui pourrait faire ironie, mais dans un authentique poème qui répète la nature. Et cette communauté qui fait front, qui nous assemble, comme une ode au bonheur d’être ensemble. 

BalletX_NachtohneMorgen_PhotobyAdmillKuyler_300dpi (13)
14 septembre

Apocalypse maintenant

Rémi Rivière

Et maintenant l’apocalypse… La vraie, avec trompette, cavaliers et tout le tintouin. L’apocalypse, qui entrechoque déjà la programmation du Temps d’Aimer en un joli feu d’artifice, d’un théâtre à l’autre, depuis le Casino municipal où Samir Calixto présente une ode vigoureuse aux forces de l’amour dans un monde changeant, jusqu’à la Gare du Midi où Xenia Wiest érige en ballet l’espoir d’un bouleversement. Les deux chorégraphes se répondent ainsi en racontant la fin d’un cycle de civilisation et en convoquant les énergies qui en jaillissent pour sa guérison. Avec une quête amoureuse pour le premier, Samir Calixto. Et une grande odyssée humaine pour la seconde, Xenia Wiest. Un hasard de calendrier ou une réflexion de notre temps, qui connaît bien le précipice sous nos pieds. Mais pour être arrivés distinctement dans cette programmation, les deux artistes ont déjà en commun d’être des voyageurs nés, de relativiser les frontières, de créer dans un monde sans limite, de défendre la beauté et la puissance de la danse et même, de nourrir une histoire avec Biarritz. Samir Calixto était ce danseur-chorégraphe souverain des Quatre saisons, en 2013, et l’apôtre d’un Paradis perdu en 2015. Xenia Wiest est pour sa part née au monde de la création en remportant la première édition du Concours de jeunes chorégraphes de ballets organisé à Biarritz, en 2016. Elle a accompli un parcours prestigieux, jusqu’à la direction de ballet du Mecklenburgisches Staatstheater, à Schwerin en Allemagne, plus simplement intitulé Ballet X Schwerin. Pour le reste, il sera bien temps ce soir de comparer les émotions ressenties dans les deux salles. Si Samir est parti d’une œuvre et d’une époque (lire aussi au verso), Xenia Wiest a débuté son périple plus formellement, à cheval donc, avec les quatre cavaliers de l’apocalypse et le récit biblique. Et l’idée d’un tableau d’Albrecht Dürer représentant ces oiseaux de malheur que sont la faim, la maladie, la guerre et la mort. Un quatuor qui ressemble à un destin commun, celui de l’humanité toute entière et qu’il convient d’abord de définir. La maladie sera rampante, discrète et lente, mouvante comme un serpent et pleine de compassion lorsqu’elle aura mordu. La guerre, comme le chaos et la destruction. Il aurait été justice d’en faire un homme, mais la grande affaire, finalement, oscillant entre le combat viril et la bataille féminine, restera pour Xenia Wiest un impressionnant corps sans genre. La faim, vue d’Allemagne ou d’occident, n’est plus cet être famélique du tableau de Dürer mais presque son contraire, la vanité ou la faim d’appartenir, d’intégrer. La faim d’amour aussi. Reste la mort, la carte majeure à laquelle toute les autres ramènent inexorablement, une figure féminine attrayante qui scelle l’esprit de la pièce. Née en Russie et vivant en Allemagne, Xenia Wiest aurait pu figurer cette guerre qui ravage l’Ukraine. Elle en avait en quelque sorte, l’intuition, en lançant les hostilités avant même la crise du Covid, sur un registre tellement universel qu’il ne manque pas de se produire. Elle a choisi, pour faire galoper ses quatre chevaux, l’idée d’un fugitif, voyageur éternel, migrant impénitent dans le grand vol de l’humanité. L’exil ou le déracinement, elle en a pris sa part de solitude. Le temps d’interroger le grand cycle éternel de l’humanité, et ses préceptes bibliques qui deviennent miroir de notre société. Autant dire qu’il n’y a pas de point final à La nuit sans matin. Juste une virgule, se plait-elle à penser, en estimant que la mort est un simple passage. Et en enclenchant ce mouvement circulaire qui génère la vie sans fin et fait naître son flot de pensées ou d’émotions éternelles, comme une nouvelle prédicatrice qui connaîtrait les codes de son époque et la loi éternelle de la gravité des êtres pour y faire jaillir, dans un funeste destin, une croyance éperdue dans la beauté de la danse.

OHX_1367
14 septembre

Chaussure à son pied

Rémi Rivière

Les sportifs estiment que Le Ballet de Nice, en déplacement à Biarritz, a largement égalisé hier soir, emportant le bonus offensif. Les puristes trouveront à redire, qu’une des vilaines belles-sœurs serait moins bien chauve ou qu’il est impossible de boire dans un verre en vair. Les plus prudents n’en pensent pas moins, bien au contraire. Les néophytes se réjouissent d’une féérie qui ne figure plus au répertoire du Malandain Ballet Biarritz. Et pendant que les émotifs comptent les poils hérissés sur leurs bras, les analystes plissent les yeux pour trouver ce ballet astucieux, plus ressemblant que l’original, plus énergique, moins vigoureux et moins poétique ou plus lyrique. Il n’empêche qu’à l’heure du coup de sifflet final dans la Gare du Midi, lorsque le public ovationne longuement, il devient salutaire de s’interroger sur les mystères de la vie d’une œuvre, sur ses dispositions à passer de bras en bras et sur les secrets de son appropriation et de sa transmission. Car ce Cendrillon, créé il y a dix ans par Thierry Malandain pour investir les ors du château de Versailles, est d’abord comme une fameuse chaussure de verre ou de vair : il ne saurait s’adapter à toute les pointures. Ce monument du Ballet, comme toute œuvre chorégraphique, ne fait pas dans le prêt-à-danser et les imprudents qui penseraient qu’une reprise de cette pièce peut s’improviser comme une chansonnette, auraient tôt fait de se transformer en citrouille. La transmission en danse est d’abord affaire de générosité et d’intention. Car au-delà des pas et de la chorégraphie, qui peuvent s’avaler comme une captation vidéo, la danse nécessite une clé de compréhension, qui en fait son âme et sa fragilité. Il convient donc de disposer d’un maestro, un chef d’orchestre pour mener à la baguette l’arrière-pensée de la partition, un cuisinier capable de relever le plat ou, pour ne pas perdre les sportifs précédemment cités, un coach qui connaît le terrain : pour monter ce Cendrillon magistral, qui sera encore joué ce soir au théâtre de la Gare du Midi, le Ballet Nice Méditerranée a bénéficié des entraîneurs de Biarritz, notamment Giuseppe Chiavaro, maître de Ballet, danseur pendant vingt ans de Thierry Malandain et figure, à l’époque, de la marâtre de Cendrillon. C’est donc lui qui a apporté sur un plateau cette création à Nice, avec sa connaissance profonde du style de Thierry Malandain et sa mémoire physique de danseur. Et une première facilité, propre à ravir les sceptiques de la chaussure au bon pied : « Cendrillon s’adapte parfaitement au style de Nice », dit-il. Dans la tradition des maîtres de ballets, il a donc saisi un bâton de pèlerin pour replonger dans la pièce, avec sa mémoire du corps, d’abord, avec ses notes ensuite, en décryptant chaque séquence, chaque mouvement de danseur ou d’ensemble, pointant, au crayon à papier, les lignes ou les cercles dans un langage propre. La notation existe pourtant en danse, comme la partition en musique, mais reste un esperanto désuet au sein des compagnies qui n’y retrouvent pas leurs sensations. La méthode est donc directe et s’inscrit dans la tradition des maîtres de ballets, « leur responsabilité » même, appuie Giuseppe Chiavaro, pour produire la pièce la plus proche de l’originale en embarquant les danseurs au plus près de la technique du chorégraphe. Certains se passent ainsi le bâton de pèlerin bien après la disparition du créateur, comme des gardiens du temple invisibles. La chance du Ballet de Nice et de pouvoir profiter du chorégraphe. Après six semaines de répétitions, Giuseppe Chiavaro a passé le relais à Thierry Malandain pour « nettoyer la pièce ». Une façon de « tout rééquilibrer » confie le chorégraphe et parfois « de donner la vie ». Cette mise en lumière est guidée par l’intention originelle et suscite des ajustements, « en remettant parfois un danseur à la taille d’un autre » pour qui le rôle a été créé, ou en trouvant le ton qui lui convient le mieux. Le dernier coup de pinceau pour une transmission idéale, qui s’est déjà produite à Vienne et devrait se reproduire bientôt à Palerme. La pièce est porteuse et compte déjà plus de 150 représentations. Mais cette transmission, dans son élan de générosité, n’oublie pas que la danse a une vocation populaire. Hier, dans les méandres de la Gare du Midi, se tramait un autre apprentissage de Cendrillon. Sous la houlette de Ione Aguirre, ancienne danseuse  du Malandain Ballet Biarritz et désormais intervenante en médiation, de petits groupes d’amateurs découvraient l’œuvre de l’intérieur. Des élèves du lycée de Navarre de Saint-Jean-Pied-de-Port, des élèves de l’école supérieure d’art Pays Basque, ou encore des femmes en fin de peine de prison, salariées de la ferme Baudonne à Tarnos, ont pu danser le bal de Cendrillon et plonger dans le monde de Malandain, avant de découvrir l’interprétation du Ballet de Nice. La danse est ainsi généreuse qu’elle se partage pas à pas, dans la justesse et l’attention qui font les chaussures au bon pied.

STB_0584_moy-def
13 septembre

Sens Inverse

Rémi Rivière

Le collectif Bilaka est un étrange objet dans le monde actuel de la danse. Désormais programmés à l’Opéra de Bordeaux ou au Théâtre de la Ville à Paris, voilà les basques sommés d’expliquer une démarche qui coche trop de cases. Mais entre danse traditionnelle et contemporaine, Arthur, Zibel, Xabi et les autres, ne choisiront pas. Ils ont d’ailleurs d’autres entrechats à fouetter en planifiant un projet « secret et profond », comme on recherche sa propre langue chorégraphique. Cette fois, ils avancent masqués, jusqu’aux portes des ténèbres, bien décidés à trouver, à la jonction de deux cultures, la source d’un rite et l’essence de la danse traditionnelle. Un véritable enjeu pour le laboratoire Bilaka qui espère découvrir, dans les célébrations originelles, le sens authentique de sa démarche contemporaine. 
Ainsi s’annonce la pièce iLaUNA, comme une quête d’identité qui s’apprête au grand saut des rites de passage. Mais avant d’attaquer l’évidente tradition carnavalesque, sa fertilité et la promesse des beaux jours, Bilaka parcours le chemin à rebours pour s’enfoncer doucement dans l’obscurité, au rythme du fiévreux Gau Beltza, la « nuit noire » en basque, un délicieux processus païen qui marque la fin des moissons et l’ultime baroud sauvage pour apprivoiser les ténèbres, avant la plénitude de l’hiver, de la nuit, de la mort. Une tradition basque qui avait même sa citrouille illuminée avant que Halloween n’en fasse oublier les fondements. Un rite européen, sans doute, en tout cas pyrénéen puisque ce carnaval inversé trouve sens également dans la culture occitane. 
C’est avec cette double approche que iLaUNA (la lune éphémère en Gascon et en basque) veut « frotter les mouvements », les danses et les musiques de ces deux cultures, cherchant les intersections pour mieux retrouver le chemin initial. Le travail d’archéologue a exhumé des trésors, en établissant les mêmes systèmes d’improvisation dans le Fandango et la Bourrée ou en trouvant des lignes mélodiques communes aux deux traditions musicales. Cette expérience hybride a même donné un fruit, mélange de l’Alboka et de la Boha, la clarinette à anche des basques et la cornemuse des gascons qui fusionnent dans le même instrument, « aux sonorités sauvages et brutes » se réjouit Xabi, musicien de l’équipe. Deux sonorités il est vrai similaires qui conjuguent leur puissance aérophone en une vibration stratosphérique. Mais c’est dans la terre que les mythologies basques lanternent et qu’il faut creuser au son de ce nouveau clairon. ILaUNA est une descente qui laisse les costumes de danse basque sur leur cintre, fiers, droits, dignes, flottants dans la nostalgie de pollinisation avec la danse classique. A l’inverse Bilaka développe un répertoire au sol et assume ce rapport à la terre qui devient une esthétique assumée ou « le lien entre notre corps et la pratique traditionnelle » appuie Arthur. Le petit peuple qui saute aux pieds des Pyrénées a été esthétisé et si la gestuelle contemporaine ramène la danse au sol, c’est peut-être pour mieux se rapprocher d’une tradition populaire, se plait à penser tout haut Bilaka. De la terre jaillit la magie mais en attendant l’heure du carnaval et de la renaissance, quatre danseurs et deux musiciens nous la font à l’envers, de la lumière vers la nuit, dans un rituel d’acceptation de la mort et d’apaisement, interprétant un chant depuis la fin ou rembobinant Larrain Dantza en arrière. Mais comme au sein du carnaval, c’est dans l’anonymat du masque que se soude le collectif, dans cette épopée lourde mais jamais oppressante, qui renonce au final épique pour trouver la sérénité. Cette impavide adhésion est aussi le fruit d’une recherche fondamentale menée par des danseurs et des musiciens qui créent ensemble depuis sept ans, dans l’idée d’affûter leur propre langage, avançant pas à pas dans la culture basque comme dans un jeu de miroir. Cette création, pensée pour un format intime, sera présentée ce soir dans la version idéale d’un format tri-frontal, histoire peut-être de signifier au public de Biarritz que ce cycle sur les rites est un enrichissement commun et un processus collectif.

OHX_9660
13 septembre

Faire genre

Rémi Rivière

Une femme qui raconte, invective, chante, se moque, joue de la basse. Un slameur qui plante la parole poétique. Des danseurs qui font genre. La scène est savonneuse mais la Compagnie Auguste-Bienvenue s’en tire sans une glissade. Car attaquer la question du genre sur un plateau de danse, c’est prendre le risque indéniable de faire bailler le public ou de brandir les oripeaux de l’arrière-garde, surtout, d’ailleurs, si l’on s’en tient aux deux seules identités sexuelles de l’homme et de la femme. Un propos binaire qui ramène bien plus loin que la danse contemporaine à papa, ou que l’androgynie des années 80, et l’on se moque bien, en 2022, que le rôle phare du Boléro de Béjart soit interprété par un homme, une femme ou n’importe quelle autre identité, sexuée ou non. La danse n’a plus d’autres représentations à fournir et aucune production ne pointe pour annoncer de nouvelles constructions de genre. La question des rapports sociaux de sexe reste en revanche une question sociale et, sur les plateaux comme dans la société, on se questionne par exemple sur la représentativité des femmes chorégraphes. Dans les débats qui animent en ce moment le Temps d’Aimer, au sein du Focus Caraïbe, on regrette aussi le manque d’hommes dans la pratique du quadrille guadeloupéen. Ou au Burkina Faso, le manque de femmes dans le monde de la danse professionnelle. C’est ce dernier thème qui a emporté la Compagnie Auguste-Bienvenue pour entamer une résidence de création à Biarritz, en avril dernier, afin de présenter, ce soir, la pièce Monsieur vs/ou/+/= madame. Une création, donc, qui annonce bien le frottement homme/femme sur scène mais qui en évite les écueils tant sur la forme que sur le fond. Les tableaux, dont les lumières ont été travaillées au théâtre l’Olympia d'Arcachon, adoucissent un propos qui cherche la complémentarité entre l’homme et la femme, par bonheur à parité sur le plateau. Des points de vue qui plantent des êtres contraints, ou pour le dire comme aujourd’hui, les hommes souffrent aussi de la société patriarcale et les femmes peuvent aussi triompher. Mais la danse réunit bien des divergents, surtout lorsqu’on aborde la Kizomba, genre de tango d’Angola qui a inspiré les chorégraphes ou la Salsa. Pour le reste, le beau mec en tutu est un classique qui a ses aficionados et aficionadas et qu’il faut prendre aujourd’hui, justement comme un genre. La réflexion d’Auguste Ouédraogo et de Bienvenue Bazié, qui composent depuis plus de vingt ans cette compagnie bordelaise, vient de plus loin. Du Burkina Faso donc, et d’un engagement de près de quinze ans pour encourager les jeunes danseuses Burkinabè à franchir le pas de la professionnalisation. Et dans ce registre, il y a du travail. Les deux danseurs et chorégraphes se sont connus à Ouagadougou, au sein de la Troupe polyvalente les bourgeons du Burkina qui dispense l’apprentissage de la danse, du chant, du théâtre, des arts plastiques. Ils on créé leur compagnie dans la capitale du Burkina Faso, avant de prendre le large pour l’Europe, un peu par hasard et à force de contacts en France. Reste que “on a dû batailler pour faire de la danse notre métier” raconte Auguste. Le regard de la société, l’inquiétude des parents, “et pour les filles c’est doublement compliqué” ajoute Bienvenue qui décrit les préjugés des “femmes de mauvaise vie” qu’on a bien connus sous notre longitude. Tout cela contribue à éloigner les femmes des métiers de la danse, avec, il est vrai, des variations en danse classique, contemporaine, ou traditionnelle. Et une évolution tout de même, depuis ces dernières années, avec un engagement notable d’une jeune génération de femmes. Après avoir écrit des pièces pour les femmes, jeté des ponts entre la France et le Burkina pour créer les conditions d’un travail professionnel, les deux danseurs et chorégraphes abordent pour la première fois dans une pièce leur réflexion de fond. Et enfilent le tutu.

Photo Rapides - Cie Beaux-Champs crédit F. Stemmer HR .5
13 septembre

Nouvelle vague baroque

Rémi Rivière

Jean-Baptiste Colombié éclate de rire. Le kiné attitré du Malandain Ballet Biarritz ne touche la danse que du bout des doigts, forcément, et tente même parfois de relever quelques propos en même temps que les mauvaises postures. Cette fois, il a pisté le terme « nouvelle génération de la danse baroque » qui fait forcément naître les images rigolotes de vieux danseurs emperruqués, vêtus de lourdes vestes de naphtalines pour amuser la galerie des glaces de Versailles. Louis XIV en baskets, en somme et même Bruno Benne sourit de cette « image muséale » qu’il a pourtant l’habitude qu’on lui réserve. Le meneur de la compagnie Beaux-Champs n’en démord pourtant pas, en annonçant carrément le renouveau du genre. Car, bien sûr, le Roi soleil est bien dans le coup mais son règne a surtout marqué la fin de cette danse, ou sa transformation dans la danse classique. Une danse oubliée, qui n’a ressurgie que dans les années 1960 sous la houlette de chercheurs qui en ont exhumé les nombreux traités, genre de partitions pour musiciens et danseurs. Passé ce travail de collecte et de sauvegarde d’un répertoire, de nombreux chorégraphes se sont réappropriés « la belle danse », dans le sillage par exemple de Marie-Geneviève Massé, une habituée du Temps d’Aimer. Ce n’est qu’une fois ce patrimoine à l’abri que la jeune génération s’est emparée avec gourmandise de cette danse très codifiée, à l’exemple de Romain Di Fazio, ancien danseur du Malandain Ballet Biarritz, qui déclarait l’an passé au Temps d’Aimer que « Faire de la danse baroque aujourd’hui c’est presque être punk ». Bruno Benne n’en est pas encore à figurer un Louis XIV à crête, ni à goûter aux guitares saturées. Mais il ne doute pas un seul instant que sa danse baroque est une « version contemporaine », une grammaire du passé dans les mots de notre temps. Ou une danse actuelle, qui reprend, dans une forme d’aujourd’hui, le cours d’une histoire inachevée, en conservant d’abord les caractéristiques fortes de cette danse : une gestuelle particulière, mais surtout un rapport fusionnel à la musique. A l’inverse, par exemple, des recherches des années 80 pour détacher la danse de la musique, à la charnière de la danse moderne et de la danse contemporaine, la danse baroque reste clouée à une partition, comme si chaque mesure devenait geste. « Grace à cette matière de danse, on a l’impression d’être musicien » appuie Bruno Benne. Le jeune chorégraphe conserve cette relation privilégiée avec la musique, sans pour autant faire de ses danseurs des pantins animés de l’orchestre. Au contraire, une fois les corps libérés des lourds costumes d’époque et leur souplesse retrouvée, Bruno Benne rajoute des lignes à la partition, comme si chacun de ses 10 danseurs jouait la sienne, en autant d’instrument qui composent ce nouvel ensemble. Et comme les maîtres de ballets du XVIIe siècle, Bruno Benne façonne l’espace en relation étroite avec le musicien Youri Bessières pour une meilleure cohésion. Là encore, il reste dans la veine de la musique baroque en convoquant Haendel. Sobrement intitulées Water Music, ces suites orchestrales ont été composées pour accompagner le roi George 1er de Grande Bretagne lors d’une procession sur la Tamise. Cette musique de grand air, interprétée à l’origine par 50 musiciens, trouvera une autre vocation ce soir au ras de la Grande Plage dans un intitulé plus impétueux : Rapides. Le fleuve tranquille devient bouillon et les danseurs appuient les vagues, l’élan, la continuité, le tourbillon. Au fond, dans les boucles de Youri Bessières, Bruno Benne siphonne l’essence de cette danse pour en faire une nouvelle vague baroque et faire jaillir une nouvelle intention, généreuse, de partage de l’espace au service de la musique. Ou à l’inverse, pour que la danse contemporaine investisse, dans un groupe constitué, le sens de la musique, développe son oreille et transmette un plaisir brut et contagieux.

Leilaka
12 septembre

Grand Ka

Rémi Rivière

Une écriture sensible et percutante, rageuse et empreinte de liberté, lumineuse et révoltée. La jeune chorégraphe Leïla Ka est attendue au tournant du festival Le Temps d’Aimer la Danse, où son fulgurant succès fascine. Elle, estime plutôt avoir « eu de la chance ». Et reste dans la retenue pour qualifier sa danse. Une question de pudeur, peut-être, ou une réticence naturelle à mettre des mots sur ce qui, par définition, s’en passe si bien. Car Leïla Ka ne manque pas d’éloquence et débute sur les chapeaux de roues une carrière singulière et affirmée, justement marquée par la quête d’une identité. Un chemin que le festival reprend ce soir depuis le début. 
Déjà reconnue par une multitude de prix, la jeune trentenaire a commencé la danse du côté de Saint-Nazaire, à l’âge canonique de 15 ans. Dix ans plus tard, avec sa seule expérience du hip-hop, elle décroche un rôle dans le chef d’œuvre de Maguy Marin, May B. Avant de créer son premier solo, « en clin d’œil à May B et Maguy Marin » précise t-elle. Sous l’intitulé lusitanien Pode Ser, hommage à la communauté portugaise de Saint Nazaire, la pièce sera jouée plus de 200 fois et recevra une bonne demi-douzaine de prix. Il faut dire qu’au creux de la vague #Metoo, ce manifeste chorégraphique porte les germes d’un combat féministe. Robe en tulle sur jogging et baskets, Leïla Ka semble se débattre à coups de coudes contre les stéréotypes et ce vêtement qui tient le rôle dont on affuble. Les deux autres pièces, qui seront présentées ce soir, enfoncent ce clou. Dans C’est toi qu’on adore, Leïla Ka double la mise avec un duo de femmes qui semblent lutter contre la même assignation de genre. A la fois vulnérables et invincibles, elles sont en tout cas dans la bataille et gagnent leur icône féministe dans un élan d’espoir et de ténacité. Bouffées multiplie encore les possibles de Leïla Ka, en plantant cinq femmes comme on figure toute une armée, en carcans de robes fleuries ou de tablier, qui semblent enchaîner les gestes guerriers de leur vie, en vitesse accélérée, saccadés par leurs propres soupirs. Des gestes qui appartiennent au registre féminin, comme si surgissait l’idée de mouvements genrés et qui brandissent, encore, une force intacte, une puissance de vie ou une « rage de liberté ». Mais Leïla Ka se défend du parti pris féministe, ou en réfute en tout cas la préméditation. « Ce n’était pas mon idée, dit-elle. Ce sont juste des choses qui me tenaient à cœur ». Elle préfère chercher, dans cette approche féminine, une explication plus personnelle, en remontant à la source de sa famille nombreuse et de ces quatre sœurs, de leurs jeux d’enfants et du « joyeux bordel » qui rythmait sa vie. 
Preuve en est peut-être dans le plaisir qu’elle retrouve à danser ses propres pièces et à retrouver son univers, avec sa sœur parfois, la chanteuse Zaho de Sagazan dont elle chorégraphie des clips. Comme un jeu enfantin qui mimerait ce que l’on est, ce que l’on veut être et permettrait « l’insolence ». Si, à Biarritz, elle laisse sa place de danseuse et assistera pour la première fois à son programme depuis les fauteuils d’orchestre, cette envie de danse l’anime également pour créer. Avec un vrai enjeu expiatoire, « des choses un peu secrètes comme la colère ou la révolte ». Une aspiration à la liberté qui devient universelle dans une belle sororité retrouvée.

IMG_1670_rush
12 septembre

La danse inspirée de Pietragalla

Rémi Rivière

Marie-Claude Pietragalla attire les foules. Elle recevait hier matin, en toute simplicité, plus d’un millier de personnes agglutinées sur une centaine de mètres de Gigabarre, saluant à la pelle et reprenant à la baguette les postures, dans un fatras de novices, de petites filles en tutu, de danseurs aguerris, d’autres timorés qui reproduisent à distance une ébauche de consignes et d’anciens qui déploient leur corps comme on s’étire de bon matin face à l’océan. Dans le doute que certains y piquent une tête, elle prévient : “pas de mouvement en apnée”. Car le souffle est la clé pour libérer le mouvement et entrer dans la danse d’une femme qui veut transmettre son art par le chemin des sens, dans la beauté, la poésie et la générosité d’une philosophie de vie. 
Pietragalla est La femme qui danse, dans l’intitulé de ce spectacle qui propose, ce soir, un voyage vertigineux dans l’expérience d’une ancienne Étoile de l’Opéra de Paris. Mais il ne s’agit pas de raconter une vie. Plutôt d’embarquer, pour un voyage sensoriel, dans l’intimité de l’artiste. Certes, inspirée par les grands noms de la danse qu’elle a côtoyés, Maurice Béjart, Carolyn Carlson, Roland Petit, Mats Ek, Rudolf Noureev. Mais au plus près de son souffle. “Que le spectateur comprenne que c’est à travers le souffle que jaillit l’effort” exhale t-elle. Sinon, comment insuffler cet art du mouvement et de l’instant ? Cet art de la vie en somme, qui sur scène se nourrit de mots. La femme qui danse est aussi une femme qui écrit, des pleins et des déliés, sur papier lisse. De ses témoignages écrits, réflexions ou sensations sur la danse, Julien Derouault, avec qui elle partage la vie du Théâtre du corps, a suggéré cette pièce où elle commente en direct, avec le corps dansant, en prise avec son sujet, comme une écriture qui saccaderait en fonction du sens des mots ou à l’inverse, comme si les entrechats de la plume devenaient parole. Une habitude que les deux chorégraphes ont pris, en flirtant avec le théâtre ou d’autres formes d’art, non pas pour contourner l’art de la métaphore qu’est la danse, mais pour mieux en explorer l’odyssée intérieure et sa poésie. Ce micro, connecté au souffle de Marie-Claude Pietragalla, est le tempo de La femme qui danse. Mieux, avec La Muse en circuit, le centre national de création musicale d’Alfortville —où est basé le Théâtre du corps—, ils ont élaboré, outre un travail sur l’amplification de la voix, des capteurs qui commandent le tempo de la musique et donc de la lumière déjà synchronisée par des automatiques. “Le corps devient chef d’orchestre” se réjouit Marie-Claude Pietragalla. La danseuse inspire et expire toute la pièce, dans un élan de générosité exigeant, qui mêle performance d’actrice et de danseuse, dans la volonté d’insuffler et de transmettre à la jeune génération l’art de l’instant, la danse par l’humain. Une introspection publique comme la façon moderne de perpétuer une transmission orale si bien ajustée à l’apprentissage de la danse. Un réel enjeu pour Marie-Claude Pietragalla et Julien Derouault qui ont créé, à Alfortville, un Centre de formation d’apprentis destiné aux métiers de la danse et du spectacle vivant. Une façon de “garder un regard d’enfant” dit Marie-Claude Pietragalla, ou peut-être de “puiser l’énergie de la jeunesse”, s’amuse t-elle. Après quarante ans de carrière, à l’âge où les corps de danseurs sont usés, la danseuse corse porte belle et donne le change. La source de jouvence est peut-être dans ce rythme intérieur, qui donne sens au mouvement, l’habille de mot, l’érige en philosophie de vie, met le corps en rapport avec les éléments. “Tout se passe entre la terre et le ciel, la force et l’élévation de l’esprit” dit-elle. Le corps en appui et le geste qui cherche haut. Le souffle qui aspire à devenir conscience. 

thumbnail_STB_2941_couv
12 septembre

Le rituel de Pétricot

Rémi Rivière

Les enfants ont inventé un jeu bruyant qui produit de grands éclats de rire à chaque cascade de vélo. Les plus grands ont investi les bancs, sous les arbres et résistent, impassibles, aux moustiques, en commentant les allées et venues des scooters amis. Plus loin, de petits groupes d’adultes se croisent, se réfugient à l’ombre, se défont et se refont, jetant parfois un œil dans le fronton où, malgré la chaleur de ce milieu d’après-midi, une partie de pelote sérieuse se dispute au soleil devant un petit public dégoulinant dans les gradins. Un dimanche de septembre au quartier Pétricot de Biarritz…

Mizel Théret et Johanna Etcheverry font déjà partie de ce décor. Depuis le premier jour du festival, les deux complices proposent un rituel quotidien, un moment de danse sur ce fronton, qui en chasse les jeunes pilotari et, presque timidement, emplit l’espace de contours tranchants, de courbes à peine esquissés, d’intentions à poursuivre et de la voix si particulière de Mikel Laboa, tantôt aigre comme un soufflon de vieille bigote anglaise, tantôt pleine et chaleureuse comme un feu de camp sur la plage avec Atahualpa Yupanqui. Un moment de danse sans contrainte, qui annonce 18h dans le quartier. Une dame revient, après n’avoir vu qu’une bribe il y a deux jours. Une autre reste à l’écart et n’ose encore s’approcher du petit groupe de spectateurs. Peut-être reviendra-t-elle discrètement demain, pour revoir ça de plus près. D’autres semblent se contenter d’un zapping aléatoire, guidés par la sortie du chien. Deux enfants refusent de rentrer, leur mère s’inquiète de la durée de la performance et finit par céder. Ils ont raison d’insister, doit penser Mizel Théret, accroché à sa partition improbable, tantôt dans un mime onomatopéique, secoué par une langue inconnue, tantôt porté par les haleurs d’une intention fugace, ou bien dessinant l’espace de Laboa, de pleins, de déliés et d’une grande liberté qui prolonge ses bras. Avis aux garnements, la pièce est sans injonction. C’est cadeau. Elle s’immisce doucement dans le quartier, comme une offrande dansée qui devient cérémonie rituelle et gagne, au fil des jours, ses adeptes agglomérés. Une cérémonie, avec sa figure sacrée, Mikel Laboa, emblème majeur de la chanson basque. Un rôle dont il est devenu prisonnier, tentant de se faire la belle dans une série d’albums expérimentaux, sobrement intitulés Komunikazio-Inkomunikazio (communication – non communication) où il crée son propre langage en mêlant les sons et les onomatopées, les jeux de voix, les cris, les mots ou les chansons réécrites à l’oreille comme autant de reprises subjectives. Un yaourt onctueux, qui fascine Mizel Théret, sentant venir la brise dadaïste dans « tout ce non-sens accumulé qui fait sens ». « Le monde surréaliste me fascine» dit Mizel Théret, comme pour justifier son désir, toujours ardent, de vouloir entrelacer de l’ineffable. « Là c’est un tissage », corrige-t-il. « Un pas de côté » dans le travail du chorégraphe, genre de chercheur en mouvement, jamais dans la partition, toujours dans son intention ou sa figuration. Cette fois, la bande son est épaisse, « baroque, exubérante » enfonce Mizel Théret. Ce chercheur en danse fondamentale, grand habitué du festival, est dans l’épure du geste, dans l’abstraction, dans l’idée de la musique et dans sa déconstruction. Face à cette « musique forte », il a cette fois choisi de danser comme Laboa joue : en décalage. Une façon de poursuivre cette voie inachevée, entre tragique et burlesque, de l’augmenter par le geste, d’y mettre corps. Reste qu’avec Komunikazio-Inkomunikazio, Mizel Théret poursuit aussi son travail sur la mémoire, «  dans un lien ténu avec le territoire » et dans une démarche qui, dans l’élan de Laboa, a fait basculer la culture basque de la tradition à la modernité. Mizel Théret faisait déjà fricoter, il y a quarante ans, les danses basques et contemporaines, bien avant que cela devienne une évidence. Il a pourtant renoncé très tôt à cette hybridation, plongeant dans la recherche formelle du geste, de l’invisible, de l’intention cachée, du refus de la fusion. Un genre de retour à l’essentiel. « Le contour du mouvement » appuie Johanna Etcheverry, pour définir ces entrelacs qui cherchent à « révéler le vide ». La grande affaire des deux sculpteurs basques Jorge Oteiza et Eduardo Chillida. Mizel Théret, même s’il ne se définit pas comme cela, reste un créateur basque, qui s’inscrit dans l’histoire de ce pays pour peigner le vent. Et dans le silence revenu de la pièce, le quartier se remet à bruisser par onomatopées.

Lazarus©Didier_Philispart
11 septembre

Horde sensible

Rémi Rivière

Justement on vient d’en parler au filage avec les danseurs. On échangeait sur la pensée de ce programme », se réjouit Arthur Harel, lorsque les relations téléphoniques entre Biarritz et Marseille se rétablissent. Membre du Collectif artistique (La)Horde, qui a pris la direction du CCN Ballet National de Marseille il y a cinq ans, le jeune homme a tout loisir de dérouler cette « pratique nouvelle » qu’est, pour lui, la programmation d’un Ballet. Chantre d’une communauté qu’ils qualifient de « post-internet », les trois membres de (La)Horde ont gagné leur popularité en mettant en scène les danses qui se mijotent sur le web. Ce fût le cas en 2020, au Temps d’Aimer, lorsque le collectif présentait To da bone, avec des danseurs de jumpstyle qui prenaient pour la première fois la lumière du plateau en surgissant de leurs salons ou des boîtes techno hardcore. Un programme comme un manifeste, pour secouer le cocotier du monde de la danse à près de 200 battements par minute. Mais la lumière d’une révolution ne se fait qu’à l’exercice du pouvoir. 19 danseurs et un ballet junior de 10 apprentis constituent les contours de ce pays à inventer, dans l’idéal de mêler les danses aux arts visuels, à la performance et à tout ce qui raconte notre temps. Avec ce regard tranché de tendanceur culturel, le collectif gagne ses lettres de noblesse, entourant le compositeur électro Rone pour créer au châtelet Room With a View, prenant la direction artistique des chorégraphies de Madonna dans sa tournée mondiale The Celebration, ou illuminant la cité phocéenne devant plus de 20 000 personnes, en juillet dernier, sur une scène flottante plantée dans le Vieux-Port, pour un programme également intitulé Célébration. Populaire et branché, le collectif a effectivement de quoi célébrer, à commencer par Les 40 ans des CCN aux Temps d’Aimer où ils promettent un extrait de Room With a View, après le programme flottant du Vieux-Port. Mais les beat techno couronneront aussi une authentique réflexion qui s’inscrit avec justesse dans le programme de cette édition du festival. 

Répertoire
Comment aborde-t-on la question du répertoire dans les Ballets aujourd’hui ? La réponse de (La)Horde est en partie dans « la pensée de ce programme », évoquée par Arthur Harel, qui traverse l’histoire récente et les formes du Ballet, comme l’allégorie saisissante de tous les possibles. A commencer par cette mise au pas des chorégraphes contemporains, invités aujourd’hui à écrire pour les grands ensembles. Du plus formel au plus impertinent, cette narration en quatre pièces débute toutefois par une réflexion déjà bien engagée dans le Concerto de Lucinda Childs, danse minimaliste qui se concentre sur l’architecture du groupe, l’art complexe des formations. On reste dans le jeu d’ensemble avec One Of Four Periods In Time de Tânia Carvalho, qui s’en amuse en une danse sur pointes d’humour. « C’est une écriture de groupe mais quelque chose s’opère » commente Arthur Harel. Dans Mood, Lasseindra Ninja, icône queer de la danse Voguing en France, se plie pour la première fois à ce formalisme en cercle, en duo, en solo ou en trio en confrontant ironiquement sa transidentité dans les mouvements d’une structure classique. Enfin, Oona Doherty multiplie par 20 son solo minimaliste et théâtral Hope Hunt & the Ascension into Lazarus, qui avait bouleversé le Temps d’Aimer il y a quelques années, dans une danse urbaine qui souligne la masculinité toxique. Le final aux allures de rave party désenchantée de Room With a View contribuera à revendiquer tous les possibles du Ballet. Ou plutôt, modère Arthur Harel, sa capacité « à s’approprier beaucoup et donner du sens ». « Le but n’est pas que les danseurs fassent tout, défend t-il, mais qu’ils soient capables de faire ce qui fait sens ». Et ce qui fait cohésion. « On challenge les danseurs en formant un groupe pour incarner des esthétiques différentes » résume Arthur Harel. La corde sensible du Ballet. Qui peut avaler les codes de la société pour coller à l’air du temps. 

IMG_8462_CMJN
11 septembre

Souffle caribéen

Rémi Rivière

Il y a d’abord le cercle, qui unit le quadrille guadeloupéen et le hip hop. Un espace commun dont l’usage diffère cependant entre battle solo ou danse en couple ou en groupe. Et puis les codes vestimentaires. Comme dans le hip hop, “on retrouve une coquetterie dans nos danses” remarque Chantal Loïal, meneuse de la compagnie Difé Kako, qui présentait hier soir au Casino Municipal la pièce Cercle égal demi-cercle au carré. Le cercle, pour parler de quadrille, car c’est dans cette quadrature que la chorégraphe guadeloupéenne tente de réconcilier une tradition avec la vigueur de la jeunesse, la campagne et les danses urbaines, la virtuosité avec le tout âge. De quoi interpeller, au Pays Basque, cette manière de réappropriation culturelle énergique et colorée. “Je fouille dans les racines pour ériger un seul arbre” explique t-elle. “This is the rhizome of the night” aurait-on pu siffloter hier soir en quittant le théâtre pour rejoindre, sous escorte des danseurs de Briscous Oinak arin, le bal Konsèr déchaîné des guadeloupéens. Car la petite musique, derrière le battement sourd du tambour, martèle bien l’idée de racines mêlées et profondes, ou plutôt des rhizomes, si chers au penseur martiniquais Edouard glissant, dans leur faculté de porter des bourgeons et de diversifier une plante à partir de sa base. La base, en l’occurrence, ce sont les traditions dansées que fouille avec gourmandise Chantal Loïal pour les confronter sans crainte de les effacer et “recréoliser” sa culture, comme on pollinise un arbre. La créolisation, dont Édouard Glissant fut un chantre, n’est pas la modernisation d’une culture mais la créativité du métissage culturel ; un nouveau fruit. Cela n’enlève pas la nécessité de sauvegarder les traditions de danse des Antilles. Si la Compagnie Difé Kako en est à la réappropriation de ce patrimoine, l’heure est encore, en Guadeloupe, à l’inventaire et à l’écriture du répertoire. Aujourd’hui centre d’intérêt des chercheurs, le quadrille s’inscrit dans la tradition orale d’une population vieillissante et dans l’urgence, comme hier au Pays Basque, d’en sauver les fondements. Les jeunes préfèrent les danses urbaines et rejettent surtout cette tradition issue de la culture du colonisateur. On touche, bien sûr, à la question de l’identité. Les tambours africains, oui. Le quadrille européen, non. “Beaucoup de jeunes n’en veulent pas parce qu’on sait que ce patrimoine est passé sous nos chaînes” explique Chantal Loïal. La question est complexe et ramène au fondement de l’identité créole, dans la continuité de cultures africaines ou à l’inverse en dépossession de celles-ci. La créolisation est une nouvelle voie qui revendique une identité propre née du frottement des circonstances culturelles multiples. Le bateau qui emmène les identités dans la pièce de Chantal Loïal, comme le “passage du milieu” qui symbolise la mort et la renaissance de cette culture contrainte. Ou comme le bateau basque qui a peut-être amené une pratique des mutxiko, s’amuse à croire Chantal Loïal, en évoquant le quadrille avec commandement, c’est-à-dire quand les pas sont énoncés. De quoi faire sourire la Compagnie Maritzuli qui donnera le change aujourd’hui et mardi en produisant quelques quadrilles basques, en invitant notamment les géants d’Irun. Tout cela nous ramène à l’objet d’un large Focus caribéen dans le festival et à la confrontation des expériences. Au Pays Basque, le processus de réappropriation et de transmission des danses traditionnelles semble déjà mieux avancé, que ce soit dans la sauvegarde d’un patrimoine, la constitution d’une identité ou dans la structuration de la vie quotidienne. Mais les questions restent les mêmes. Sous l’intitulé “Sauvegarder et promouvoir les répertoires basques et créoles : enjeux et problématiques actuelles”, il s’agira, dès aujourd’hui et jusqu’à mardi, d’échanger librement sur les pratiques, d’un bout à l’autre de l’Atlantique, avec le monde de la culture basque et une trentaine d’acteurs culturels caribéens. “Comment conserve t-on ? Comment transmet-on ? Comment la chorégraphie affronte cette question d’héritage ?” questionne Marie-Christine Rivière, coordinatrice à l’origine de cette rencontre, qui voit dans ces danses traditionnelles une “clé de lecture et de rapprochement”. Un échange simple fondé sur la pratique, davantage que sur la théorie et qui peut aider à “grandir ensemble”. Outre la compagnie Zimarel - Léo Lérus qui se produira mardi, le festival illustrera également cet échange avec les approches différentes de la compagnie Maritzuli, encore dans l’inventaire des danses traditionnelles, de Mizel Théret, aujourd’hui à Anglet, qui a toujours vécu librement sa condition de danseur basque contemporain et surtout du collectif Bilaka, jeudi au Casino, jeunesse dorée qui vit la danse basque au présent ou de Jon Maya, l’un des pionniers, il y a vingt ans, du renouveau de la danse basque, qui portera justement la question Eta orain zer? (“Et maintenant, quoi ?”). Un peu par hasard puisqu’il s’agit plutôt, pour le nouveau chorégraphe associé au Malandain Ballet Biarritz, de rapporter le temps d’incertitude de la crise du Covid et “d’occuper un espace vide”. Un espace qu’il emplira sans problème aujourd’hui à Biarritz et samedi à Saint-Jean-Pied-de-Port, en se nourrissant du travail d’inventaire “nécessaire” et judicieusement déjà effectué, pour vivre sa danse basque de manière contemporaine et conceptuelle, en promettant qu’“on peut aller très loin”. Hier à Montréal, les danseurs du Malandain Ballet Biarritz présentaient justement le souffle basque, écrit par Jon Maya, comme le second souffle d’une culture vigoureuse. 

11 septembre

Mi -Tout

Rémi Rivière

0livia Grandville a eu une idée politiquement peu correcte et d’autant plus rigolote. En pleine vague #metoo, la directrice du CCN La Rochelle, rebaptisé « Mille Plateaux » par ses soins, s’est mise en tête d’interroger les hommes sur ce grand bazar des assignations de genre. Avec facétie, effronterie et finalement pertinence. Car disons le d’emblée, il ne s’agit pas ici d’arbitrer un partage équitable du temps de parole, en faveur d’hommes qui viennent de prendre 2500 ans pour raconter la même histoire. Encore moins de contester le chambardement en cours ou de conforter les suprémacistes de la quéquette. Plutôt de questionner les assignations masculines, par symétrie. Et parce que ces injonctions de la société, qui nous font hommes ou femmes, « sont à déraciner les deux en même temps » balaye Olivia Grandville. Pas de quoi brandir le vit de victoire, les vieux matous de vestiaires peuvent donc s’y rhabiller et crier au scandale devant un intitulé si éloquent : Débandade. Mais il ne s’agit pas ici de couper les élans, plutôt à l’inverse de vider le sac de quelques spécimens du genre, en l’occurrence de jeunes mâles davantage contraints par leur représentation dans la société que par l’émancipation des femmes. « Dans cette génération de millennials, raconte Olivia Grandville, je voyais émerger cette fluidité des rôles ». Elle a donc sommé sept danseurs de s’en expliquer le plus simplement : « Qu’est ce que cette masculinité ? » a t-elle posé, en souhaitant que la réponse sur le plateau se situe « quelque part entre la comédie musicale, le micro-trottoir, le stand-up et le rituel d’exorcisme ». La barre est haute.

 

Types et stéréotypes

Il en résulte une pièce très dansée, où l’on se joue des corps, des types et des stéréotypes. Où l’image et parfois la parole, viennent appuyer le propos. Mais où tout se joue à l’énergie, dans une libération des corps que ne parvient pas à contraindre la bande son qui, du rap au rock, tente de déverser son lot de testostérone sur le plateau ou à l’inverse, annonce avec quelques poètes maudits, « le trouble dans le genre  ». Olivia Grandville a déjà expérimenté dans Nous vaincrons les maléfices, ce travail de recueil de parole, en confrontant de jeunes étudiants aux utopies stériles des années 70, suivant de près la bande originale de Woodstock et mesurant, 50 ans après, la colère des héritiers de cette terre brûlée. C’est dans ce vivier qu’elle a puisé les sept danseurs et le musicien qui composeront ce soir le plateau du théâtre du Casino municipal. Avec, cette fois, matière à rigoler, à rebours d’une « époque sérieuse » où, dit Olivia Grandville, « les jeunes se posent des questions de manière très sérieuse ». « On peut aussi prendre une distance avec le sujet » décale t-elle. D’autant que le Covid est passé par là, soulignant la nécessité d’une nouvelle énergie. En femme d’orchestre, la directrice des Mille Plateaux a fait jaillir la parole de ces jeunes hommes aux origines, aux attentes et aux parcours différents. Une pièce d’hommes, pensée par une femme, qui finit par épauler ce féminisme « salutaire mais offensif ».
Car bien sûr, Débandade « parle en creux du féminin », mais avec tendresse et bienveillance pour les hommes, produisant un mi-tout complice. On ne naît pas homme, on le devient et les identités masculines sont multiples. Il suffirait peut-être de laisser ce gros paquet de pression au vestiaire pour soulager ces petits d’hommes dans leur quête résolue vers des identités sereines et épanouies. Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour une humanité apaisée.

 

Une OHX_4635
10 septembre

Leçons de petites choses

Rémi Rivière

Robinson Cassarino est un homme heureux un jour de ciel bleu à Biarritz. Songez que le danseur et tout jeune chorégraphe, présentera ce soir son unique création, Petites choses, comme il y a deux ans dans ce même festival et comme il y a trois ans. Plus qu’un hommage rigolo à Larry Tesler, le père du copié-collé, le jeune danseur ne fait que revoir sa copie et la soumettre au même public Biarrot exigeant. Un privilège qui doit d’abord au Tremplin du festival, créé au sortir du Covid. Et puis aussi, parce que ces Petites choses-là « n’ont plus rien à voir » avec les deux précédentes, assure t-il en souriant. 
« La pièce évolue tout le temps » confie Robinson Cassarino. Au gré de ses inspirations, de l’air qu’il respire durant ses longues tournées d’interprète et des répètes qu’il peut arracher à son emploi du temps ou à ses deux danseurs, toujours les mêmes ceux-là, Benoît Couchot et Helena Olmedo, danseurs de haut vol du collectif Kor’sia. Le titre, la scénographie et le duo, restent immuables. Tout le reste est balayé, jusqu’à la musique. 
Robinson Cassarino est danseur au sein de la Compagnie Hofesh Shechter, tourne donc dans le monde entier au rythme de 100 à 150 dates par an, il ne sait plus bien. Mais il a en revanche calculé avec minutie qu’il était danseur à 80% et chorégraphe à seulement 20%. Avec son peu de temps libre, il aimerait pourtant varier ces proportions, être davantage chorégraphe, sans même attendre la retraite du danseur. « Etre jeune permet l’erreur » pense-t-il du haut de ses 27 ans, pas vraiment rassuré. Il faut dire à sa décharge que la création est un long processus et qu’il n’est pas facile d’échapper à l’emprise de Hofesh Shechter, qui influence largement la danse contemporaine actuelle. Robinson vient du Hip Hop et du contemporain, reconnaît s’inspirer de son mentor, notamment dans le jeu des lumières et la méthode de travail, mais veut proclamer sa propre histoire. « C’est comme une crise d’ado, il faut casser l’image du père » tranche t-il. Ce qui amène bien sûr la question existentielle : « est ce que j’ai quelque chose à dire ? ». La réponse d’Argia Doyhamboure Hourcade est oui. La coordinatrice du Plaza Berri, lieu des émergences, couve ce jeune danseur et toute la pépinière de chorégraphes qui a pris ses aises au sein du festival depuis 2021. Il y a d’abord le « Tremplin Corps et Graphique » qui s’y tenait hier soir. Un concours qui s’adresse aux débutants et constitue leur premier crash test, face à un public votant et emballé. Le principe est aussi contraignant qu’un podium de couturier puisqu’il impose une scène de 13,50 m sur 2 m, sollicitant un potentiel chorégraphique tout en longueur. Les prix d’interprétation, prix du jury et prix du public espèrent susciter des vocations. Ce soir en revanche, au même endroit, une véritable scène accueillera de fragiles spectacles, au cours d’une soirée intitulée « Découverte de talents émergents ». Les lauréats du tremplin de l’an passé, Luce Bron et Tamara Fernando, se produiront demain soir, afin que les progrès se mesurent pas à pas. 
Dans un autre registre, Martin Harriague, Xenia Wiest et le collectif Kor’sia ont en commun d’avoir été révélés lors d’un Concours de jeunes chorégraphes de Ballet et de trouver une place naturelle dans cette 34e édition du Temps d’Aimer la Danse. Le jury de ce prestigieux concours, constitué notamment par le Ballet de Biarritz, celui de Bordeaux et celui du Rhin, a donc bien fait d’aider ces trois-là en leur mettant le pied à l’étrier. Ce concours sert à repérer les écritures déjà capables d’ordonner de grands ensembles et à aider leur réalisation. La leçon vaudra peut-être demain pour les talents émergents qui mijotent au festival. 
Au-delà des problématiques propres aux ballets, qui sont le manque de troupes et de moyens, l’aide aux jeunes chorégraphes reste un enjeu vital du monde de la danse. Un apport à la création, un « enrichissement » même, glisse Argia Doyhamboure Hourcade. 
 

Le festival de Biarritz a toujours accompagné la création et permis de belles révélations, à l’échelle de grands Ballets, de productions locales, sans parler du festival transfrontalier de danse de rue Dantza Hirian qui promeut au Temps d’aimer de jeunes artistes. Des petites choses qui en disent long.

OHX_1259
10 septembre

Part d’étoile

Rémi Rivière

Né dix-huit minutes après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, Martin Harriague continue de déplacer les plaques tectoniques à chaque petit pas d’homme. Plongé dans une ardente introspection, le jeune chorégraphe basque lançait sa générale trente minutes avant la mort de la reine d’Angleterre, avant d’anéantir, avec la seule idée de “manger là”, toute possibilité de publication de la gazette d’hier, condamnant, à coup de poisson allergisant, une vitale partie de la rédaction à finir la nuit aux urgences. Pour le reste, le chorégraphe, associé il y a peu au Malandain Ballet Biarritz, a tout de même persisté dans ce qu’il sait le mieux faire, lors de la création de cette pièce sobrement intitulée Starlight : distribuer du bonheur. Tout en soulevant, sous le tapis d’un nouvel accouchement nucléaire, une dense poussière réfléchissante. Car cette fois, Martin s’intéresse à l’infiniment petit, l’atome de sa création, ce qui l’anime lorsqu’il danse, suspendu au fil d’autres chorégraphes ou lorsque, marionnettiste, il se heurte aux commandes et aux cadres imposés. Une crise d’avant quarantaine, en somme, quand le Temps d’Aimer a plutôt l’habitude de voir défiler des vétérans lorsqu’il s’agit de raconter sa vie sur scène. “Je suis peut être en fin de carrière ?” s’amuse t-il à s’inquiéter. 
Rentré un peu par hasard dans le festival, en 2017, par la plus grande fenêtre, Martin Harriague était alors un danseur phare de la Kibbutz contemporary dance company et il plantait vigoureusement l’affiche de la 27e édition. Depuis, le basque a fait du chemin, comme danseur et surtout comme chorégraphe. Douze pièces ces trois dernières années, une réflexion tous azimuts, un engagement total et des sentiments mêlés que l’artiste, le vrai, a un besoin urgent de peigner. Starlight n’est pas une plongée égomaniaque de chorégraphe d’Instagram, mais la recherche impérieuse d’un sens à la création, la quête d’une pulsion originelle. Tout le monde n’a pas, comme Béjart, la facilité de changer de Dieu. En l’occurrence, le petit Martin Harriague, costumé de bric et de broc, reste fidèle à ses démons en string vert et au culte de Michael Jackson. Il faut, bien sûr, avoir beaucoup douté pour produire pareille foi. Faire vœu pieux dans la vérité de l’enfance. Faire retraite dans un entre moi, dans une liturgie à la fois douloureuse et festive, qui fait ressurgir des cadavres frétillants et permet des les contempler en croquant du pop corn. Le chorégraphe seul en scène est à la fois ministre de son culte et marabout, organiste et chanteur pope, danse thérapeute et moine dévot pour embrasser le costume de son créateur, psalmodier une ligne de basse qui fait revivre le Tout-Puissant, vaticiner un Thriller qui nous est apparu à tous il y a quarante ans, dans la sainte petite lucarne familiale, la version longue avec ses interférences, images pieuses et enneigées des années 80, dans la résurrection de zombies miraculeusement dansants. 
L’évangile selon Martin est un déluge de sens, une madeleine de Jackson, qui fait revivre la douceur maternelle et le salon familial, la cène de la première scène et l’envie intacte de toucher au piano, de pousser le canapé, d’écrire une chanson, d’enfiler le costume de lumière de la pop star et de l’habiter avec sa belle expérience de danseur. “Par la danse on comprend qu’il donnait tout” souffle Martin. Ce danseur tellurique reconnecte un terroir fertile. Et poursuit peut-être une réflexion arable sur la dramaturgie, la scénographie, la musique live qu’il a par exemple explorées dans la création de Gernika, pour le collectif Bilaka, et qui sera présenté ce jeudi au Temps d’Aimer. Au fond, plus que le Créateur, Martin Harriague questionne la toute puissante création. Et dans son dénuement, cette mise à nue complexe d’orgueil et de pénitence, c’est finalement le public de la danse qui lui donne sa bénédiction, en rémission de son péché d’adulation et de cette incartade vers le stand-up dont on comprend la tectonique artistique et dont il revendique sa part de lumière et d’étoile.

CCN CRETEIL x EMKA_PORTRAIT 5_HD © Julien Benhamou
10 septembre

Famille recomposée

Rémi Rivière

“Comment arrive t-on à vivre dans un groupe que l’on ne choisit pas ? » Dehors, le soleil castagne, mais sur les travées climatisées du théâtre de la Gare du Midi, où Mehdi Kerkouche suit de près l’installation de son plateau, la question peut encore s’avaler comme un bonbon glacé. Naturellement, le granité va finir par chauffer, même si le jeune chorégraphe semble plein d’énergie et de bienveillance. « Un thème large… » esquive Mehdi, qui présentera ce soir Portrait, troisième création sur le thème du groupe, entre connivences et divergences. Avant de concéder, dans un sourire, cette « grande famille du spectacle » qui renvoie à une photo parfaite. Mais enfin, pourquoi faut-il que ce soit toujours l’enfant terrible qui questionne la famille ? Naturellement, c’est pour mieux la faire frire. Par les températures qui courent, le thermomètre va monter. Mehdi s’en réjouit d’avance en constatant, d’un regard au plateau : « ils ne se sont pas choisis, je les ai choisis… » Forcément, les sourires photogéniques sont susceptibles de s’effacer rapidement et les coups bas ne manqueront pas. Mehdi Kerkouche en sait quelque chose, qui a intégré en janvier la direction du CCN de Créteil et l’étroite coterie des patrons de la danse. Le petit gars des réseaux sociaux, qui a esquivé Le lac des cygnes et Giselle et s’est fait un nom dans la petite lucarne, fait ici figure d’enfant adopté. Mais il a la parade : le sens de la danse et de l’initiative. Et les institutions se mettent à penser tout haut qu’il apporte peut-être un peu d’air frais au château. Le petit s’est déjà offert Chaillot et l’Opéra de Paris, après un succès viral pendant le confinement, où il a su poétiser et transmettre le besoin de danse. Le voilà à la tête du CCN de Créteil pour la photo de famille. Portrait débute ainsi, comme l’idée d’une photo de famille, le genre grave qu’on destine à la colonne de la cheminée, qui foire parce qu’il en manque un ou que l’autre marche sur des plates-bandes. Une vraie famille avec neuf danseurs de 19 à 67 ans, un peu hors normes, mais qui ont le mérite de « toucher » Mehdi Kerkouche. Cette famille recomposée se rassemble autour de la figure matriarcale de Shirwann Jeammes, figure de la danse contemporaine, en âge donc, de jouir de sa retraite, quelle que soit la réforme du moment. Les caractères se frottent et les identités de danseurs, issus d’horizons aussi variés que le break dance, le cabaret ou le cirque, se confrontent. « Comment faire coexister les univers ? » questionne Mehdi Kerkouche. Tout est là. C’est même à peu près la question inévitable de tout chorégraphe qui cherche à faire groupe. Pour la question familiale, il faudrait se référer à La maison de Bernarda du suédois Mats Ek, nous disent des experts. Une œuvre inspirée d’une pièce de Federico Garcia Lorca, qui campe une mère borgne et tyrannique, mise en danse avec seulement des solistes qui ne feront forcément jamais corps de ballet en implorant simultanément Bach et la musique espagnole. Ou encore les ballets Fall River Legend ou Mademoiselle Julie de Birgit Cullberg, inspirée d'un parricide sordide du XIXe siècle. Curieusement, la chorégraphe Birgit Cullberg est aussi la mère de Mats Ek, ce qui va finir par réveiller Freud et faire monter la température. Une situation qui serait d’autant plus regrettable que Mehdi Kerkouche n’a pas besoin de convoquer le répertoire. Lui continue de se mouvoir à l’instinct, dans la spontanéité sans cesse retrouvée. Un propos clair et net, qui plaide finalement le plaisir de la danse dans toutes ses expressions. Il n’y a plus d’erreurs commises au nom de la famille. Seulement « un langage commun » dit-il, pour accorder les adagios avec les crescendos, les allegros, les glissandos et supprimer les trémolos. Et le cliché noir et blanc de famille retrouve les couleurs de la vie.

TumulTe_Frederic_Iovino_02
9 septembre

Barock

Rémi Rivière

Bruno Pradet est un peu au festival de Biarritz comme dans sa résidence secondaire. Face à l’océan argenté, qui fomente une averse, il mesure avec gratitude le blanc-seing que lui accorde le Temps d’Aimer et, dans ce temps suspendu, dégaine son téléphone pour immortaliser l’horizon et faire râler ses proches à distance. Le meneur de la Compagnie Vilcanota retrouve ses marques —presque son public—, et sa carte blanche, donc, qu’il dévoilera ce soir. Une idée incongrue, d’avant Covid, qui lui est tombée dessus comme une évidence. « Pourquoi pas des musiciens baroques ? » résume-t-il. Si l’idée n’effleure pas forcément le commun des chorégraphes, il faut d’abord préciser que Bruno Pradet a une heureuse tendance à mêler sur scène danseurs et musiciens et qu’il s’adonne au plaisir solitaire du chant baroque depuis une vingtaine d’années. D’ailleurs, il constate stupéfait que la musique baroque s’est introduite « de façon sporadique » et sans même qu’il s’en aperçoive, dans au moins cinq de ses pièces, compte-t-il à main ouverte. Ainsi s’annonce TumulTe, comme une « envie de frotter cette musique aux corps », d’en révéler les pulsations, d’évoquer les débuts de l’opéra et des thèmes fondamentaux qui la structurent : l’amour, la mort, les émotions, l’humanité. Et le rock qui se niche dans le baroque. 
Bruno Pradet a donc convoqué une soprane et un contre-ténor, également violoniste, avec un bassiste et un guitariste, histoire de les électriser. Un arrangeur s’occupe en direct de colorer tout cela. Sur le plateau, les cinq musiciens sont rejoints par cinq danseurs, dans une configuration qui rappelle une précédente pièce présentée au festival, L’homme d’habitude, sa batterie tournoyante et le mystère de la fusion entre les danseurs de Vilcanota et les musiciens des Blérots de R.A.V.E.L.

Improvisation
Un mystère qui doit sa source à la méthode de travail de Bruno Pradet. Le chorégraphe pose un cadre et réclame l’improvisation, laissant se débattre danseurs et musiciens, chanteurs lyriques et guitare-héros dans ce monde en chantier. « Je suis un guetteur » explique-t-il. Une façon de « prendre soin » de ce que sont les danseurs, en laissant leurs corps s’exprimer librement. Et de mettre en forme l’émotion, en travaillant la matière brute et fluide de l’instant, parfois fugace, qu’il piste patiemment. Bien sûr, cette liberté est biaisée par la mystique du chorégraphe qui impose ses dogmes, à commencer par ce mariage rock et baroque. « La musique baroque est pulsatoire, comme le rock » soutient-il. Pas dans la bouillie d’une world musique métissée, mais dans le respect d’une musique sensible que l’on débarrasserait de son étiquette savante. Partir d’un thème de Vivaldi à la guitare est la promesse d’une improvisation mélodique. Tout comme d’ailleurs le violon originel. D’ailleurs, Bruno Pradet le reconnaît : « Je crois que j’aimerais faire une pièce avec davantage de pureté baroque ». Mais il y a comme une humilité chez ce chorégraphe qui réfute les propos trop tranchés, les exclamations et leur corolaire. « Je préfère toujours la sobriété » euphémise t-il. 
TumulTe annonce d’ailleurs la couleur d’un propos secoué par tous les gris qui scintillent dans l’océan. Si les thèmes baroques balayent avec gravité les émotions humaines, la pièce s’en trouve confrontée à la dureté du monde actuel. Une création brutale, traversée par le Stabat Mater Furiosa de Jean Pierre Siméon, le long cri d’une mère contre la guerre qui prolonge les angoisses du chorégraphe. « Je ne comprend pas la brutalité du monde » dit-il. La réplique est ce flot d’émotion sur le plateau, qui questionne sans morale, mais sans renoncer. Comme cette mère qui perd un enfant et reste droite, éternelle Stabat Mater de la liturgie. Une œuvre sombre qui conserve l’espoir. Les sentiments mêlés qui ramènent à notre humanité. Une pièce barock.

w-230609-BONR-onacheve-254 (c) Poupeney
9 septembre

Chevaux de courses

Rémi Rivière

Pas si vite ! On avait dit que, contre la morosité ambiante et les inquiétudes du moment, le Temps d’Aimer ferait triompher « la danse qui danse », la belle danse, la beauté comme éternel remède aux menaces quotidiennes. Voilà donc un objet singulier qui se présente ce soir à la salle Lauga de Bayonne et qui promet d’enfreindre impunément ce dance-code et de broyer pas mal d’idées reçues. Certes, les marathons de la danse sont nés de la grande dépression des années 30, mais pas tant comme un exutoire qui effacerait ce jeudi noir dans la fièvre d’un samedi soir. Plutôt comme une danse de l’épuisement, du chavirement des corps et de l’abandon, dans l’arène d’un spectacle permanent qui promet son lot de sang et de douleur contre quelques sandwiches et peut-être une prime sonnante et bien sûr trébuchante, pour le vainqueur. Le roman de Horace McCoy, On achève bien les chevaux, (et le film de Sydney Pollack qui l’a popularisé), est éloquent à cet égard et reste sombre comme un espoir de gladiateur. C’est pourtant bien cette œuvre qui a inspiré le Ballet de l’Opéra national du Rhin et la Compagnie de théâtre des Petits-Champs pour en faire un drame intemporel et questionner simultanément, dans un grand lessivage des corps, le rapport à la danse, au théâtre, à l’artiste ou au spectacle. Une pièce « pessimiste sur la nature humaine », confirme Clément Hervieu-Léger, directeur artistique de la troupe de théâtre aux côtés de Daniel San Pedro. « Mais elle montre la capacité à créer de l’optimisme », perçoit-il. 44 comédiens, danseurs et musiciens ne seront pas de trop, ce soir et demain soir, pour tailler d’un seul souffle cette perle noire et lui rendre son éclat salvateur.

Les marathons de la danse, sont nés dans la fureur du crack boursier de 1929 aux Etats Unis. Ces performances sans fin qui faisaient du lâcher prise l’enjeu malsain d’un dénouement tragique, se sont largement développées et ont perduré jusqu’aux années 60. Biarritz, aujourd’hui temple de la danse, a organisé des « Marathons de danse d’endurance » dans les années 30, sous la houlette d’un certain Albert de Tant, belge installé dans la cité impériale, qui deviendra impresario de ces manifestations à travers la France. Des concours où les couples s’épuisent à danser jour et nuit, parfois plus de deux mois, en prenant une pause d’un quart d’heure toutes les heures. De bons danseurs viennent y briller, la crise ayant d’abord frappé les artistes de music-hall. Ceux-là empochent les primes données par les spectateurs, qui demandent des démonstrations de danse en supplément. Les autres sont des couples fauchés qui se jettent dans l’arène avec l’espoir d’empocher plusieurs mois de salaires. Des corps s’effondrent, des veines claquent, des nerfs lâchent. Mais l’organisme s’adapte à ses 15 minutes de sommeil par heure et à ce balancement incessant, même pour manger. Pour raccourcir les marathons, les organisateurs corsent les règles au fil des jours. Les temps de repos se réduisent. Les repas aussi. Puis ils lancent des « sprints de valse ». A Saint-Jean-de-Luz, Bayonne ou Biarritz, ces pratiques font naître de vives polémiques et même des manifestations où se retrouvent commerçants, cléricaux et communistes, qui auront bientôt raison de ces tortures. Si le Ballet de l’Opéra national du Rhin rouvre aujourd’hui le dossier, ce n’est pas tant pour ressusciter cette alliance inédite que pour en explorer de nouveaux contours. Il y a, bien sûr, un travail sur le corps et le lâcher-prise, la lenteur, la danse à l’économie, qui constitue « une difficulté pour le ballet », rappelle Bruno Bouché. Une veine largement exploitée dans la danse contemporaine mais qui livre toujours ses pépites. Le directeur artistique du CCN Ballet de l'Opéra national du Rhin avait aussi une autre idée en tête face à cet « objet trop hybride pour une compagnie de danse ». Dans sa volonté d’interroger la notion de « danse-théâtre », avec ses complices du théâtre des Petits-Champs, Clément Hervieu-Léger et Daniel San Pedro, ils ont vu « l’œuvre idéale ». Une façon d’ouvrir le champ du répertoire, en allant draguer dans la richesse des fonds de la comédie française. Et de pousser le bouchon de la « dramaturgie chaotique » de Pina Bausch en reprenant les bases de la danse-théâtre. On achève bien les chevaux questionne simultanément la danse et le théâtre. La danse dans cette pratique hystérique et hors des limites. Le théâtre dans ce mélange de tragédie et de cirque romain. Ce n’est que lorsque le Covid 19 a fait taire les corps, et mis le projet entre parenthèse, qu’a surgi une autre réalité dans ce grand ensemble que seuls les ballets peuvent aujourd’hui se permettre. Celle d’une humanité imparfaite qui finit par jouer d’entraide, de solidarité et d’amour. C’est peut être finalement une expérience qui fait du bien. 

KOR_SIA _MONT VENTOUX_©MARIA ALPERI_12
8 septembre

L’ère du temps

Rémi Rivière

La troupe a un nom de compagnie aérienne et le programme évoque d’avance les courbatures du dimanche soir. Kor’sia présente Mont Ventoux et la promesse de suivre Pétrarque dans une ascension moyenâgeuse. Autant dire que le livret ainsi résumé n’est pas en mesure de concurrencer le petit film du dimanche soir, et encore moins de remplir les 1300 places du Théâtre de la Gare du Midi. Mais à Biarritz, où le festival joue depuis 34 ans à dénicher les perles, on sait se méfier des intitulés et respirer dans les embruns marins les effluves de la bonne fortune. 
C’est précisément le cas de ce collectif madrilène qui attire des danseurs d’exception comme un aimant —à l’image d’Émilie Leriche qui se produisait hier au théâtre de Bayonne dans Crocodile—, plante un propos net et tranché, invente des dispositifs artistiques en empruntant aux arts visuels ou à la dramaturgie et proclame que les arts du mouvement sont seuls capables de transmettre ce qui fonde nos sociétés. Ajoutons qu’après une pénible ascension, la descente de Pétrarque éclaira le Moyen-Âge jusqu’à la Renaissance. Et qu’à la lueur de cet humanisme originel, Mattia Russo et Antonio de Rosa, les deux directeurs de Kor’sia, ont bien l’intention de retrouver le bon chemin pour changer d’ère. « Comment aller au sommet et voir le monde différemment ? » questionnent-ils. Puissante comme une danse urbaine, libre et fluide comme une clameur contemporaine, la révolution du Mont Ventoux est en marche. « Le changement ne peut venir que de nos gestes et de nos actions » assène le capitaine Mattia Russo. Avant de donner l’assaut à la colline avec ses 9 danseurs en denim. Mesurer la pente, interroger la montagne, profiter de l’accélération de notre société en suivant ses soubresauts électroniques, chercher les points de vue, ralentir, gagner la cime, en faire un sommet pour le climat, dire la nécessité, le devoir absolu, charger, mettre en joue, décaniller le Moyen-Âge, renaître. Et qu’importe le Pétrarque, pourvu que la voie soit dégagée. 

Ascension
Plus que la vie du poète et son célèbre amour courtois, c’est donc le rite initiatique qui interpelle les deux chorégraphes, « l’ascension » même, abonde Antonio de Rosa. D’un état à l’autre, le chemin est souvent plus intéressant que la destination. Reste à trouver l’ardeur de le défricher, dans l’évidence du regain de la jeunesse. 
Ce bon sens aurait pu causer la perte de la pièce s’il s’était agit de figurer une jeunesse, de l’enfermer dans ses représentations sociales, entre mal être des banlieues, utopies révolutionnaires ou stigmatisation culturelle. Ou encore pire en recréant un Pétrarque 2.0, l’assaisonnant des ingrédients du moment, en faire un érudit instagramable et lui assigner une nouvelle tribu pour proclamer sa branchitude. Ce ne serait pas la première fois que la danse prend l’air du temps pour une partition éclairante. 
Contre cette facilité, Kor’sia explore l’ère de notre temps, plantant une jeunesse, générique et éternelle, qui s’ébranle dans sa diversité et sa marche résolue vers le changement. Parfois fulgurante ou baroque, elle est déloguée, déréférencée, entrechoquant les armures des guerres de cent ans et les caddies de supermarchés ou convoquant ses peluches dans son intime détresse. 
Du fracas d’une grande ville au grand calme de la montagne, la narration réfute en trois temps les tendances du moment pour tracer une route singulière, et sinuer l’écriture sensible et poétique actuelle. Des jeunesses éparses finissent par faire corps dans un collectif galvanisé, à la fois refuge et solution de mobilité. C’est aussi le dispositif artistique choisi par Kor’sia, collectif pluridisciplinaire, pour réclamer sa place au monde, interroger notre société et y redessiner les fondements dans la sensibilité et la poésie

8 septembre

Faire Corps

Rémi Rivière

Jakes Abeberry claudiquait parfois. Ou du moins portait-il le juste poids de ses 92 ans bien tassés par les barouds d’honneur, les bourre-pif politiques, les grabuges culturels, les riflettes de l’idée et les échauffourées de la faconde. Des strates, qu’il laissait dans l’escalier de la Gare du Midi, façon sédiment graniteux, pour redevenir, en l’espace d’un seul spectacle, le jeune homme alerte et prêt à en découdre qui remontait par deux les marches de la vie. Le fondateur du festival ne connaitra pas cette 33e édition mais il nous a légué cet escalier de jouvence et cette ivresse des grands ballets, des corps qui giclent, des ardeurs communicatives. C’est pour lui que s’ouvrira, ce soir, Le Temps d’Aimer la Danse, dans la jeunesse et la fougue de l’Aterballetto et de deux chorégraphes pleins de sève qui consacrent le premier Centre chorégraphique national d’Italie, titre récent que le public de Biarritz n’a pas attendu pour offrir son plébiscite. Des histoires d’enfance, de rock et de liberté, comme la fontaine de jeunesse qui jaillirait chaque mois de septembre à Biarritz. Un « vrai remède », scande Thierry Malandain, en défendant la cure sur le ton d’un médecin : « dites 33 ! » lance le directeur artistique du festival, en promettant que la danse « suscite l’allégresse et triomphe de tout ! » Il faut dire qu’il ne lésine pas sur les moyens. 80 spectacles en 10 jours, comme si la thérapie suivait la courbe de l’inflation. Ou que le dosage se rapportait au grammage de l’accablement. Cette fois, il faut construire « un temple pour célébrer la vie » puisque « par-ci par-là, presque tout s’enténèbre ». Dans sa quête de beauté, le festival joue avec les maux. La grande dépression ? Parlons-en dès demain avec cette pièce fracassante qui questionne le spectacle vivant dans les pas de l’écrivain Horace McCoy et des marathons de danse qu’il dépeint dans son ouvrage On achève bien les chevaux. La danse cataplasme, emplâtre, perfusion et grog. La danse transfusion, pontage, friction, pour raviver la mémoire des vivants dans la création Ahotsak et se rappeler des voix qui vont se taire et qui étaient sous les bombes de Gernika. La danse piqûre, purge et refuge lorsque Mehdi Kerkouche dresse un portrait de famille de jeunes danseurs urbains qui se frottent à une figure éternelle de Martha Graham, l’une des pionnières de la danse contemporaine. La danse qui insuffle, qui diffuse et panse dans les mots du poète Édouard Glissant et de son désir intact de féconder dans un Tout-Moun fertile. Le tout-monde, voilà au fond la grande idée d’un festival qui pollinise dans la diversité des écritures et frotte la jeunesse aux figures éternelles. Un éclectisme sans chapelle, qui salue l’audace, loue la puissance et les écritures fortes et repère les talents émergents. Une source de vie qui pétille sous la langue et sonne l’avènement des grands ensembles, comme un onguent ou une friction médicinale. Cinq ballets seront présents, pour en asseoir les lignes de force. Le Ballet du Rhin alignera 50 artistes sur scène, pour illustrer ces marathons dansés que fit jaillir une fameuse crise. Le Ballet de Nice présentera le célèbre Cendrillon de notre Malandain, clin d’œil à la belle idée du partage et de la transmission. Le Malandain Ballet Biarritz présentera en retour une Mosaïque, un concentré de ses pièces les plus emblématiques, pour célébrer ses 25 ans dans une fresque colorée. Le chorégraphe prendra son makila de pèlerin-académicien pour emmener ses 22 danseurs dans les frontons de Bardos, Mauléon et Saint-Jean-Pied-de-Port et faire corps avec le territoire. L’Aterballeto irriguera également Saint-Pée-sur-Nivelle et Errenteria de sa puissante énergie. Enfin, le ballet de Wiesbaden offrira un tour de piste saisissant des grands chorégraphes du moment, comme un écho à cette programmation qui fait la part belle à une jeunesse réjouissante et affranchie des cadres. A noter qu’aux côtés des grands chorégraphes invités par le ballet, comme Marco Goecke qui a créé son duo pour le Nederlands Dans Theater, figure Martin Harriague. Le bayonnais, ancien chorégraphe associé du Malandain Ballet Biarritz, animera également demain, sur la place Bellevue de Biarritz et devant la salle Lauga de Bayonne, les danseurs du chorégraphe basque Jon Maya. Et dans cette chaîne de transmission et de solidarité, Jon Maya, artiste associé du CCN et directeur de la compagnie Kukai Danza, clôturera le festival à la Gare du Midi par un face à face entre un danseur basque et l’un des plus grands danseurs flamenco actuel, Andres Marin. Confrontation, diversité, innovation, richesse de la rencontre. Dans l’autre “tout-monde”, Edouard Glissant se réjouira de cette créolisation. Et ce corps à corps universel entre basque et espagnol emportera Jakes bien au-delà des marches.

8 septembre

Le Temps Aimant

Rémi Rivière

Dans leurs costumes baroques, les académiciens semblent appartenir à une rigide éternité, en marge de la vie, dans cette antichambre de feutre et de dorures où l’imaginaire populaire les érige en ferrailleur du sens des mots ou en Highlanders, ces autres immortels qui portent l’épée. Mais il faut savoir que Thierry Malandain a préféré l’humble makila basque à sa ceinture et que ses collègues ont aussi de quoi briser menu pas mal d’idées reçues. D’abord, parce qu’ils font partie de l’Académie des beaux-arts et qu’ils sont sculpteurs, peintres, architectes, cinéastes, photographes, compositeurs, artistes et, depuis 2018, avec la création d’une nouvelle section voulue par le secrétaire perpétuel Laurent Petitgirard, chorégraphes. Ensuite parce qu’ils ont une mission d’intérêt public pour faire avancer l’art et quelques atouts pour cela. “Ils sont élus à vie et ne subissent donc pas de pression”, détaille le secrétaire général de l’Académie des beaux-arts, Cyril Barthalois. Ils ont aussi “une carrière déjà établie et n’ont pas d’enjeu professionnel” et “ils nourrissent leurs réflexions de manière pluridisciplinaire en se réunissant chaque semaine” en dehors de leurs sections respectives. Outre un rôle de réflexion et de proposition, l’Académie des beaux-arts aide aussi directement les artistes en difficulté, ou favorisent la création pour près de deux millions d’euros chaque année. Après un vif et symbolique Aurresku d’honneur sous la Coupole de l’Institut de France, cet hiver à Paris, lors de l’intronisation de Thierry Malandain, l’Académie débarque aujourd’hui à Biarritz pour l’ouverture du festival et pour y rencontrer les directeurs des ballets d’opéra et des ballets de Centre chorégraphiques nationaux. L’occasion d’échanger sur la création et l’art chorégraphique, avec notamment la présidente Astrid de la Forest, le secrétaire perpétuel Laurent Petitgirard et les académiciens de la section danse Angelin Preljocaj et Carolyn Carlson —Blanca Li étant retenue par la Mostra de Venise. L’occasion également de prendre le pouls d’un festival qui a fait de la diversité des danses sa marque et qui est aujourd’hui rattrapé par l’éclectisme des créations. Et le signe du rayonnement du festival biarrot.

Un vrai lac des signes, d’ailleurs ce festival. Signe d’expansion, d’ampleur, de convergences et d’envergure. Signe qui ne trompe pas et même, peut-être, s’il faut contenter l’éternel Tchaïkovski qui sera bousculé lundi par les secousses de l’électro et le corps vibrant de Marie-Claude Pietragalla, signe des temps. “Besoin de changer d’horizon”, analyse Thierry Malandain. “Besoin impérieux de rêver, d’aimer et d’espérer”, appuie encore le directeur artistique pour justifier d’une foisonnante 32e édition. Avec ou sans palmipède, l’envol de ce festival, plébiscité comme jamais par le public, est aussi contenu dans ses gènes. Car le Temps d’Aimer signe et persiste dans ses convictions qui sont le partage, l’éclectisme, les collaborations entre artistes, l’aide à la création, la rencontre avec le public et l’appui sur son territoire. Deux jours de festival en plus. 82 rendez-vous et 31 compagnies sont attendues à Biarritz jusqu’au 18 septembre. Les salles sont prises d’assaut. La danse dévale dans tout le Pays Basque. On vient de loin pour prendre le pouls de la création. Le Temps d’Aimer devient aimant. En suivant la piste des six ballets qui sont cette année invités, on peut suivre les lignes de force du festival. La création, avec la pièce d’Angelin Preljocaj et la collaboration puisqu’il réunit ses danseurs et ceux de l’Opéra national de Bordeaux, comme de nombreux artistes qui cette année s’associent pour créer. L’irrigation du territoire avec le Ballet de Loraine qui se produira à Saint-Pée-sur-Nivelle, Bardos et Mauléon. La dimension internationale avec le Ballet du Grand Théâtre de Genève et le chorégraphe star Sidi Larbi Cherkaoui. L’émergence de jeunes chorégraphes avec le Ballett X de Schwerin et la prometteuse Xenia Wiest, qui avait remporté le premier concours de jeunes chorégraphes de Biarritz en 2016. Et enfin, la dimension populaire, avec le spectacle gratuit du Malandain Ballet Biarritz dont les danseurs ont pioché librement dans le répertoire du chorégraphe. C’est autour de ces axes que s’est construit le point de gravité du festival. Le champ magnétique du temps aimant.

STB_9157_moy-def
7 septembre

Félin pour l'autre

Rémi Rivière

Martin Harriague est à fleur de peau. Entendre, un peu plus que d’habitude. Car, tout de même, le chorégraphe turbulent, que précède un long roulement de tambour à chacune de ses créations, s’apprête à une nouvelle pirouette dans l’intitulé équivoque, opaque et cuirassé même, de Crocodile. À la surprise générale, le gros lézard cache un authentique duo amoureux, délicat, frêle et électrique. De quoi déployer sa belle danse ample, puisque le bayonnais monte sur les planches. On savait pourtant le danseur félin, tellurique, quand ses pattes s’enfoncent pour mieux bondir. Et le chorégraphe agile qui se repaît là où on ne l’attend pas. Capable d’ordonner le Malandain Ballet Biarritz dans une Sirène d’alarme, de mettre au pas du cabaret les meilleurs danseurs du Ballet de Wiesbaden et, comme un effronté, de goûter sans retenue au stand-up, aux marionnettes, à la musique et même au Moonwalk en tenue traditionnelle. Mais le fauve est blessé. La perte d’un être cher. La fin d’un cycle, peut-être, qu’il a tenté d’enterrer dans How the body works the dark. Et puis un peu de plomb dans la fourrure, quand la critique est déroutée par une œuvre qui se nourrit de l’instant et « compromet la danse avec la chose politique ou théâtrale ». « J’ai bien compris qu’on ne peut pas faire ce que l’on veut » se repent Martin, prêt à promettre en croisant tous les doigts, dans l’éclair de défi qu’ont les garnements récidivistes. Car s’il y a bien une constante dans l’œuvre polymorphe que le chorégraphe bayonnais est en train de bâtir, c’est son engagement. Un vrai devoir d’artiste, qui plaide pour l’environnement ou dézingue en douze pièces Donald Trump. Un douze coups que Martin rengaine comme un jouet. « J’en ai marre » renonce t-il, à deux mois des présidentielles américaines. Avant de recharger le barillet pour un « best off » à venir, ou un « worst off » prévoit-il, avec le Ballet de l’Opéra du Grand Avignon dont il vient de prendre la tête. Mais il n’empêche que ce Crocodile au cuir épais est un objet nouveau et déroutant, qui ressemble d’abord à la résolution d’un lendemain d’excès : « Vous voulez de la danse ? Et bien je vais vous en donner ! » lance-t-il depuis le théâtre de Bayonne. Cette fois, c’est son corps qui dicte. 

Engagement
De la danse sans politique, donc, mais pas sans engagement. Dans ce tournant de vie, Martin est tombé amoureux. Avec brutalité mais constance, renouant une idylle de bambin, de main tenue sur la murette de l’école, de petit mot doux où l’on coche des « je t’aime ». Une pièce « personnelle », « émotionnelle » déroule t-il. Qui laisse parler le corps, comme un retour à sa source. Martin le félin est sur une piste et se rappelle d’une danseuse «instinctive et animale », Émilie Leriche, rencontrée à Göteborg, en Suède. C’est avec elle qu’il crée aujourd’hui ce duo si fragile, dans l’idée de deux corps aimantés qui entament une relation. Aux Pays-Bas, puis en Israël, Martin Harriague a développé une méthode d’écriture instinctive de la danse, qui joue sur l’interaction et qu’il a fort justement nommé « Physical Translations ». Un art aussi fugace que celui de l’amour, qui requiert une implication de chaque souffle. Si l’un des danseurs perd le fil, la relation s’effondre. Aucune chance de se raccrocher à la partition, minimaliste, lancinante, obstinée, sans fin. Ce Canto Ostinato, œuvre phare de Simeon Ten Holt, écrit à l’origine pour deux pianos et réarrangé par Stéphane Garin pour deux xylophones marimbas, est interprété par l’Ensemble 0 dans le même péril constant de s’emmêler les baguettes. Une pièce qui ne tient donc qu’à un souffle, simultanément romantique et animal, réconciliant la culture et la biologie dans la même effluve. A un crocodile près, donc, Léviathan menaçant qui guette le faux pas de ce dialogue amoureux. C’est le croco empaillé et rafistolé qui prenait la poussière chez Martin Harriague et intriguait Émilie Leriche, au point d’en interroger la symbolique. Une force aquatique du chaos, un cataclysme en puissance, une menace de destruction qui s’oppose naturellement à la puissance créatrice de l’amour. Martin Harriague, qui débute dans ce genre, s’est débarrassé de la bête. Dans le doute, pour laisser une chance au dialogue des émotions sur la scène et laisser les corps in vivo se répondre. Pour vaincre la peur qui, pense t-il, l’empêchait d’aborder sur scène le sentiment amoureux. Mais c’est peut-être « la pièce la plus engagée que j’ai faite », retombe t-il sur ses pattes. 

BB_DonQuixote_29.04.2024_photo_gregory-batardon_111
6 septembre

Un festival en ballets

Rémi Rivière

Tape dans la main, d’une édition à l’autre. Pour la promesse tenue. Le 34e festival Le Temps d’Aimer la danse monte encore en puissance en confortant son ampleur sur la scène européenne, en étendant son territoire dans 17 villes et en sortant l’artillerie lourde. Pas moins de six ballets sont à l’affiche de cette programmation et une foison de 39 compagnies accueillies, 57 spectacles programmés dans les théâtres ou les extérieurs, 42 rendez-vous gratuits et 537 artistes qui défileront entre Biarritz, Errenteria, Mauléon et jusqu’à Pau pendant 10 jours. 
« Tu es fou, mais tu es grand et je te suis » pourrait, bien sûr, clamer Sancho Panza, en jetant un œil protecteur à la première grande chevauchée de ce soir, ce Don Quixote porté par le Ballet de Berne. Tout un symbole pour figurer ce festival, sa dose d’idéal, de romantisme et les horizons de moulins à vent qui lui étaient promis par les inquisiteurs d’un contemporain triomphant. Mais le festival s’est accroché à sa propre histoire, en défendant l’éclectisme, les grands ensembles et les ballets quand ceux-ci étaient dénigrés, ringardisés ou jugés aussi poussiéreux qu’un répertoire. Le coup de ballets de ce festival en est d’autant plus revigorant. 
Car les ballets sont aujourd’hui les lieux de création les plus passionnants. D’abord, en raison de leur force de frappe. 50 danseurs permanents composent par exemple les Ballets de Monte-Carlo, qui clôtureront le festival sur une intrigue shakespearienne. Un ballet narratif en deux actes, entre l’opéra et la comédie musicale, une écriture néoclassique inventive, des décors à couper le souffle. Une démonstration de force comme on en voit peu et qui laisse une empreinte profonde, à l’image de ces 300 danseurs de ballet qui ont participé, avec le Malandain Ballet Biarritz, à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques sur les bords de Seine. Gardiennes du temple, du répertoire, de l’art des formations —ces dessins que composent les entrelacs des danseurs— les grandes formes ne sont pas des parades mais une discipline propre, un savoir-faire qui se joue de tous les répertoires et des écritures les plus contemporaines, en alignant des danseurs d’exception. L’inverse est impossible et n’importe quelle troupe contemporaine qui se risquerait sur Le Lac s’y casserait les pointes. 

Changer le monde
« La modernité des ballets n’est pas à mettre en cause aujourd’hui » balaye Thierry Malandain, devant sa porte. Le directeur artistique du festival n’a que l’embarras du choix pour étayer, à commencer par ce Don Quichotte de la Manche que le jeune chorégraphe taiwanais Po-Cheng Tsai, en ingénieux hidalgo, revisite sans nostalgie. Sous cette autorité fougueuse et déjà auréolée de prestigieux prix, les danseurs classiques explorent une gestuelle orientale, frôlant les arts martiaux, pour faire cracher à cette œuvre fondatrice son sens intact. « Est-il vraiment si ridicule de vouloir changer le monde ? », pose le chevalier à la triste figure. 
La question restera en suspend jusqu’à dimanche, pour envelopper une rencontre professionnelle, au cœur du festival, de tous les directeurs de ballets de l’Hexagone. L’art du ballet est tout de même en perdition, tempère Thierry Malandain et si le Concours des jeunes chorégraphes de Ballets, organisé par les Ballets du Rhin, de Biarritz et de Bordeaux, déniche les artistes capables de travailler avec les grands ensembles, le manque de moyens continue de leur brûler les ailes. Avec la rentrée sociale, Thierry Malandain inscrirait bien les grands ballets au registre des doléances, comme un service public, entre la poste du village et le boulanger. 
C’est ce village idéal que propose durant 10 jours le festival, faisant se rencontrer les grands esprits et les publics les plus variés. Le Ballet de Metz partira sur un air de tango en mission au mur à gauche de Bardos et dans les Jai Alai de Saint-Jean-Pied-de-Port et de Mauléon. Le CCN Ballet national de Marseille déroulera le tapis rouge à quatre écritures percutantes de femmes, inscrivant le ballet dans les codes du moment. Le Ballet de l’Opéra Grand Avignon, qui se prête au jeu de la Compagnie La Parenthèse, tissera un fil séduisant entre le romantisme et notre époque. Un joli trait d’union pour dire que les ballets traversent les époques. Ce que décortique d’ailleurs la chorégraphe Xenia Wiest, au sein du Ballett Schwerin, en déclinant Bach à tous les temps de l’indicatif, filant la métaphore entre une musique baroque qui résiste au remix, avec la danse classique qui devient moderne au sein des ballets. Une démonstration de force qui, à l’image de la programmation de ce 34e festival de danse de Biarritz, devient « un acte politique », brandit Thierry Malandain.

L 16
M 17
M 18
J 19
V 20
S 21
D 22
L 23
M 24
M 25
J 26
V 27
S 28
D 29
L 30
M 01
M 02
J 03
V 04
S 05
D 06
L 07
M 08
M 09
J 10
V 11
S 12
D 13
L 14
M 15
M 16
J 17
V 18
S 19
D 20
L 21
M 22
M 23
J 24
V 25
S 26
D 27
D 27
L 28
M 29
M 30
J 31
V 01
S 02
D 03
L 04
M 05
M 06
J 07
V 08
S 09
D 10
L 11
M 12
M 13
J 14
V 15
S 16
D 17
L 18
M 19
M 20
J 21
V 22
S 23
D 24
L 25
M 26
M 27
J 28
V 29
S 30
D 01
L 02
M 03
M 04
J 05
V 06
S 07
D 08
L 09
M 10
M 11
J 12
V 13
S 14
D 15
L 16
M 17
M 18
J 19
V 20
S 21
D 22
L 23
M 24
M 25
J 26
V 27
S 28
D 29
L 30
M 31
M 01
J 02
V 03
S 04
D 05
L 06
M 07
M 08
J 09
V 10
S 11
D 12
L 13
M 14
M 15
J 16
V 17
S 18
D 19
L 20
M 21
M 22
J 23
V 24
S 25
D 26
L 27
M 28
M 29
J 30
V 31
S 01
D 02
L 03
M 04
M 05
J 06
V 07
S 08
D 09
L 10
M 11
M 12
J 13
V 14
S 15
D 16
L 17
M 18
M 19
J 20
V 21
S 22
D 23
L 24
M 25
M 26
J 27
V 28
S 01
D 02
L 03
M 04
M 05
J 06
V 07
S 08
D 09
L 10
M 11
M 12
J 13
V 14
S 15
D 16
L 17
M 18
M 19
J 20
V 21
S 22
D 23
L 24
M 25
M 26
J 27
V 28
S 29
L 31
M 01
M 02
J 03
V 04
S 05
D 06
L 07
M 08
M 09
J 10
V 11
S 12
D 13
L 14
M 15
M 16
J 17
V 18
S 19
D 20
L 21
M 22
M 23
J 24
V 25
S 26
D 27
L 28
M 29
M 30
J 01
V 02
S 03
D 04
L 05
M 06
M 07
J 08
V 09
S 10
D 11
L 12
M 13
M 14
J 15
V 16
S 17
D 18
L 19
M 20
M 21
J 22
V 23
S 24
D 25
L 26
M 27
M 28
J 29
V 30
S 31
D 01
L 02
M 03
M 04
J 05
V 06
S 07
D 08
L 09
M 10
M 11
J 12
V 13
S 14
D 15
L 16
M 17
M 18
J 19
V 20
S 21
D 22
L 23
M 24
M 25
J 26
V 27
S 28
D 29
L 30
M 01
M 02
J 03
V 04
S 05
D 06
L 07
M 08
M 09
J 10
V 11
S 12
D 13
L 14
M 15
M 16
J 17
V 18
S 19
D 20
L 21
M 22
M 23
J 24
V 25
S 26
D 27
L 28
M 29
M 30
J 31
V 01
S 02
D 03
L 04
M 05
M 06
J 07
V 08
S 09
D 10
L 11
M 12
M 13
J 14
V 15
S 16
D 17
L 18
M 19
M 20
J 21
V 22
S 23
D 24
L 25
M 26
M 27
J 28
V 29
S 30
D 31
L 01
M 02
M 03
J 04
V 05
S 06
D 07
L 08
M 09
M 10
J 11
V 12
S 13
D 14
L 15

Le journal vidéo

thumbnail_MonteCarlo_CdeOtero_04
16 septembre
thumbnail_STB_8416_moy-def
15 septembre
thumbnail_STB_7815_moy-def
14 septembre
thumbnail_STB_2286_rmoy-def
13 septembre
STB_0500_moy-def
12 septembre
Brèves STB_0733_moy-def
11 septembre
STB_6916_moy-def
10 septembre
KOR_SIA _MONT VENTOUX_©MARIA ALPERI_8
9 septembre
KUYLER-BACH-PPF-GP-12.10.2023-353
8 septembre
thumbnail_Berne_CdeOtero_05
7 septembre
AMERICA 2 crédit TTS pictures
5 septembre