Journal du festival

Billet du jour

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15 septembre

L'aventure humaine

Rémi Rivière

Cela aurait pu être la pièce la plus subversive du festival. En ce jour précis de manifestations féministes, ce manuel de dressage de femmes, programmé au Théâtre de la Gare du Midi, aurait été la promesse d’un rappel en musique à l’ordre austère du XVIe siècle. Mais la comédie de William Shakespeare, La mégère apprivoisée, pourrait aussi bien changer d’intitulé dans la création de Jean-Christophe Maillot, qui préfère en réécrire la morale, en proposant à cette fameuse mégère un compagnon enfin taillé pour l’aventure et aussi rétif qu’elle aux exercices de domptage. En plongeant dans la narration avec un ballet classique, le directeur des Ballets Monte-Carlo impose un genre de comédie musicale qui, à l’inverse du livret original, devient une ode à l’amour intransigeant. Ce dépoussiérage vigoureux fait voler la morale Shakespearienne, jugée « insupportable » par Jean-Christophe Maillot, libère cette pauvre Katharina qui se morfondait depuis quatre siècles avec un mari comme il fallait, mais garde les archétypes des relations amoureuses comme matière d’étude dans une perspective toujours actuelle. Disons-le sans spoiler, le tableau est optimiste et clame, comme dans Cendrillon, que chacun peut trouver chaussure à son pied. Tout dépend de la pointure et de l’ambition. Dans cette pièce en deux temps, il s’offre le luxe de multiplier les couples comme autant d’exemples d’arrangements entre adultes. Katharina peut donc reprendre confiance et reste cette femme « exceptionnelle », qui réfute les règles sociales et la médiocrité et ne mettra fin à la solitude dans laquelle le maintien « son caractère épouvantable » qu’au prix d’une rencontre rare, coup de foudre, fusion, relation instinctive. Et puis il y a Petruchio, taillé dans le même bois, qui se joue des conventions avec malice pour maintenir son désir intact. Ces deux-là se reconnaitront au premier regard. Citons également dans le désordre, Bianca, bien sûr, la sœur cadette qui cumule fortune, grâce, beauté et docilité, Gremio, qui pense que son argent fait tout, Grumio, le valet couard, Hortensio, le beau gosse amoureux de lui-même, une veuve très consolable pour peu qu’elle retrouve son monde et Lucentio le gendre lisse et parfait. La comédie peut commencer dans un ballet exclusivement narratif —sans danse superflue—, qui raconte ce chassé-croisé prometteur sans les mots. 
Pour Jean-Christophe Maillot , qui « ne juge jamais les intérieurs ni les couples », la nouvelle morale de cette histoire relève davantage d’une ambition que d’une leçon. Là où les couples se construisent par intérêt, l’amour le plus complexe, le plus improbable, le plus exigeant devient « idéal ».  Un thème que le chorégraphe pourrait tirer de son propre récit. Bien avant de la créer en 2014 pour le Ballet du Bolchoï et quelques-uns des ses 260 danseurs, Jean-Christophe Maillot a imaginé cette Mégère apprivoisée il y a 23 ans, pour l’une de ses danseuses, avec laquelle il vient de convoler en justes noces il y a quelques jours. L’allégorie de cet amour exigeant devient une sorte de règle de vie, qu’il applique à sa gestion parfaitement libre des Ballets comme à sa relation avec les danseurs. Les Ballets de Monte-Carlo sont ce havre de paix qui échappe, depuis 32 ans qu’il les dirige, aux politiques culturelles successives qui, en France, font et défont les projets et sabrent les ballets. Dans une principauté de seulement 36 000 habitants, les Ballets de Monte-Carlo sont à la fois le temple de cette tradition et une ambassade dans le monde. Leur budget n’a jamais souffert la moindre condition ni suscité le moindre commentaire. Cette constance est gage d’une parfaite autonomie et permet de faire vivre le genre mais aussi de constituer cette redoutable armée de danseurs —cinquante à Monte-Carlo—, qui peuvent passer indifféremment de solistes à corps de ballet. Dans cette belle famille, chaque danseur partage un moment de vie, dans le souci constant de son désir. Pour cette raison, Jean-Christophe Maillot ne souhaite pas créer pour des compagnies dont il ne connaît pas les danseurs. Cette parenthèse, il y a dix ans au Bolchoï, lui a demandé trois ans de rencontres régulières. Quant à la relation avec Biarritz, elle n’a même pas attendue l’installation de Thierry Malandain, avec lequel Jean-Christophe Maillot dit « partager le même ADN ». Les grands ensembles et la tradition du Ballet, c’était aussi la grande affaire de Jakes Abeberry, fondateur du festival Le Temps d’Aimer la Danse. Ces deux soirées virtuoses lui sont dédiées par le festival, sur fond de triomphe de l’amour le plus insensé.

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14 septembre

Sens commun

Rémi Rivière

Ambra Senatore revient au Temps d’Aimer dans un grand sourire communicatif, pour la troisième fois. La chorégraphe et meneuse du CCN de Nantes est devancée par le doux souvenir de ses pièces, malicieuses, parfois burlesques, pleines de chaleur et d’humanité. Cette envie de frotter les individus et une vraie posture de guerrière pour faire famille comme on fait corps face aux hoquètements du monde, ses conflits, ses horreurs, qui la touchent et la poussent —en réaction—, à implorer la cohésion. Une façon pour la chorégraphe et performeuse italienne de vaincre l’impuissance en opposant un modèle de société, un vrai, celui qui a bien dû faire souche, un jour, pour permettre aux fragiles hominidés de sortir de la nasse et de triompher de leur insupportable précarité, malgré cette navrante propension à s’entretuer. « Je n’arrive pas à comprendre comment l’être humain peut être si méchant » se désole Ambra Senatore. « Ni comment, par exemple, on peut ne pas comprendre la souffrance de tous ces gens qui se noient ! » ajoute t-elle en évoquant les migrants que l’on sait et dont le calvaire laisse indifférent. In Comune, qui sera présenté ce soir au Théâtre du Casino, devait être à l’origine « un travail sur la notion d’étranger » explique-t-elle. Mais il n’y avait plus d’étranger dans la troupe des douze danseurs de la pièce, ni même dans la salle de création dont la porte est toujours ouverte pour permettre l’interaction et entrebâiller le désir artistique au grand fracas extérieur. La chorégraphe se nourrit du réel, du tangible, et le groupe qu’elle a convié disait plutôt le bonheur d’être ensemble. « C’est facile on s’est choisi » reconnait Ambra Senatore. Une micro société, avec « son guide décrété » se présente t-elle, genre de premier ministre de cette confortable cohabitation, qui aurait pour plus grande mission « d’assortir le groupe ». Nul besoin d’ailleurs de convoquer Michel Barnier pour comprendre le grand intérêt de cette mission. Une question « d’urgence » pour la chorégraphe, tant que « l’être humain est agressif pour lui-même, pour les autres espèces et pour son environnement ». « Au moins pour préserver l’espèce » va t-elle chercher. La question est fondamentale, biologique même. Et de comparer le comportement humain à celui du loup, de la fourmi et de tout bestiaire qui démontre l’incohérence comportementale de se zigouiller soi-même. A la tête d’une petite société idéale de douze danseurs, Ambra Senatore se tourne vers le monde et les spectateurs avec empathie et besoin irrépressible d’agglomérer et faire communauté. A l’heure des grandes dissolutions et dans la convalescence de la crise du Covid, ce besoin dépasse les seuls plateaux et la figure imposée de l’individu dans le groupe. C’est même peut-être un signe des temps si l’on considère ce seul festival, sa manière de brasser les publics et de les réunir, sa propension à investir le territoire de la Communauté Pays Basque. Et son crû 2024 fait de grands ensembles, certes et aussi de collectifs artistiques, comme Bilaka, Kor’sia, FAIR-E, (La)Horde. Mais si la question est des plus sérieuses, la réponse d’Ambra la sénatrice est dans la délicatesse, dans le jeu, l’astuce et l’humour, qui sont l’expression pudique des beaux esprits. Décaler le sujet grave, c’est le rendre ridicule ou en faire triompher le contre exemple. Cela vaut dans la vie quotidienne et l’immanquable accrochage familial autour de la corvée de poubelle devient drôle si l’on applique la méthode Ambra. Du reste, elle précise que c’est elle qui trie le mieux les déchets. Au-delà des corvées domestiques, se sont les femmes d’Afghanistan ou d’Iran qui l’interpellent. Sa réponse n’est pas dans le sourire qui pourrait faire ironie, mais dans un authentique poème qui répète la nature. Et cette communauté qui fait front, qui nous assemble, comme une ode au bonheur d’être ensemble. 

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13 septembre

Sens Inverse

Rémi Rivière

Le collectif Bilaka est un étrange objet dans le monde actuel de la danse. Désormais programmés à l’Opéra de Bordeaux ou au Théâtre de la Ville à Paris, voilà les basques sommés d’expliquer une démarche qui coche trop de cases. Mais entre danse traditionnelle et contemporaine, Arthur, Zibel, Xabi et les autres, ne choisiront pas. Ils ont d’ailleurs d’autres entrechats à fouetter en planifiant un projet « secret et profond », comme on recherche sa propre langue chorégraphique. Cette fois, ils avancent masqués, jusqu’aux portes des ténèbres, bien décidés à trouver, à la jonction de deux cultures, la source d’un rite et l’essence de la danse traditionnelle. Un véritable enjeu pour le laboratoire Bilaka qui espère découvrir, dans les célébrations originelles, le sens authentique de sa démarche contemporaine. 
Ainsi s’annonce la pièce iLaUNA, comme une quête d’identité qui s’apprête au grand saut des rites de passage. Mais avant d’attaquer l’évidente tradition carnavalesque, sa fertilité et la promesse des beaux jours, Bilaka parcours le chemin à rebours pour s’enfoncer doucement dans l’obscurité, au rythme du fiévreux Gau Beltza, la « nuit noire » en basque, un délicieux processus païen qui marque la fin des moissons et l’ultime baroud sauvage pour apprivoiser les ténèbres, avant la plénitude de l’hiver, de la nuit, de la mort. Une tradition basque qui avait même sa citrouille illuminée avant que Halloween n’en fasse oublier les fondements. Un rite européen, sans doute, en tout cas pyrénéen puisque ce carnaval inversé trouve sens également dans la culture occitane. 
C’est avec cette double approche que iLaUNA (la lune éphémère en Gascon et en basque) veut « frotter les mouvements », les danses et les musiques de ces deux cultures, cherchant les intersections pour mieux retrouver le chemin initial. Le travail d’archéologue a exhumé des trésors, en établissant les mêmes systèmes d’improvisation dans le Fandango et la Bourrée ou en trouvant des lignes mélodiques communes aux deux traditions musicales. Cette expérience hybride a même donné un fruit, mélange de l’Alboka et de la Boha, la clarinette à anche des basques et la cornemuse des gascons qui fusionnent dans le même instrument, « aux sonorités sauvages et brutes » se réjouit Xabi, musicien de l’équipe. Deux sonorités il est vrai similaires qui conjuguent leur puissance aérophone en une vibration stratosphérique. Mais c’est dans la terre que les mythologies basques lanternent et qu’il faut creuser au son de ce nouveau clairon. ILaUNA est une descente qui laisse les costumes de danse basque sur leur cintre, fiers, droits, dignes, flottants dans la nostalgie de pollinisation avec la danse classique. A l’inverse Bilaka développe un répertoire au sol et assume ce rapport à la terre qui devient une esthétique assumée ou « le lien entre notre corps et la pratique traditionnelle » appuie Arthur. Le petit peuple qui saute aux pieds des Pyrénées a été esthétisé et si la gestuelle contemporaine ramène la danse au sol, c’est peut-être pour mieux se rapprocher d’une tradition populaire, se plait à penser tout haut Bilaka. De la terre jaillit la magie mais en attendant l’heure du carnaval et de la renaissance, quatre danseurs et deux musiciens nous la font à l’envers, de la lumière vers la nuit, dans un rituel d’acceptation de la mort et d’apaisement, interprétant un chant depuis la fin ou rembobinant Larrain Dantza en arrière. Mais comme au sein du carnaval, c’est dans l’anonymat du masque que se soude le collectif, dans cette épopée lourde mais jamais oppressante, qui renonce au final épique pour trouver la sérénité. Cette impavide adhésion est aussi le fruit d’une recherche fondamentale menée par des danseurs et des musiciens qui créent ensemble depuis sept ans, dans l’idée d’affûter leur propre langage, avançant pas à pas dans la culture basque comme dans un jeu de miroir. Cette création, pensée pour un format intime, sera présentée ce soir dans la version idéale d’un format tri-frontal, histoire peut-être de signifier au public de Biarritz que ce cycle sur les rites est un enrichissement commun et un processus collectif.

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12 septembre

Grand Ka

Rémi Rivière

Une écriture sensible et percutante, rageuse et empreinte de liberté, lumineuse et révoltée. La jeune chorégraphe Leïla Ka est attendue au tournant du festival Le Temps d’Aimer la Danse, où son fulgurant succès fascine. Elle, estime plutôt avoir « eu de la chance ». Et reste dans la retenue pour qualifier sa danse. Une question de pudeur, peut-être, ou une réticence naturelle à mettre des mots sur ce qui, par définition, s’en passe si bien. Car Leïla Ka ne manque pas d’éloquence et débute sur les chapeaux de roues une carrière singulière et affirmée, justement marquée par la quête d’une identité. Un chemin que le festival reprend ce soir depuis le début. 
Déjà reconnue par une multitude de prix, la jeune trentenaire a commencé la danse du côté de Saint-Nazaire, à l’âge canonique de 15 ans. Dix ans plus tard, avec sa seule expérience du hip-hop, elle décroche un rôle dans le chef d’œuvre de Maguy Marin, May B. Avant de créer son premier solo, « en clin d’œil à May B et Maguy Marin » précise t-elle. Sous l’intitulé lusitanien Pode Ser, hommage à la communauté portugaise de Saint Nazaire, la pièce sera jouée plus de 200 fois et recevra une bonne demi-douzaine de prix. Il faut dire qu’au creux de la vague #Metoo, ce manifeste chorégraphique porte les germes d’un combat féministe. Robe en tulle sur jogging et baskets, Leïla Ka semble se débattre à coups de coudes contre les stéréotypes et ce vêtement qui tient le rôle dont on affuble. Les deux autres pièces, qui seront présentées ce soir, enfoncent ce clou. Dans C’est toi qu’on adore, Leïla Ka double la mise avec un duo de femmes qui semblent lutter contre la même assignation de genre. A la fois vulnérables et invincibles, elles sont en tout cas dans la bataille et gagnent leur icône féministe dans un élan d’espoir et de ténacité. Bouffées multiplie encore les possibles de Leïla Ka, en plantant cinq femmes comme on figure toute une armée, en carcans de robes fleuries ou de tablier, qui semblent enchaîner les gestes guerriers de leur vie, en vitesse accélérée, saccadés par leurs propres soupirs. Des gestes qui appartiennent au registre féminin, comme si surgissait l’idée de mouvements genrés et qui brandissent, encore, une force intacte, une puissance de vie ou une « rage de liberté ». Mais Leïla Ka se défend du parti pris féministe, ou en réfute en tout cas la préméditation. « Ce n’était pas mon idée, dit-elle. Ce sont juste des choses qui me tenaient à cœur ». Elle préfère chercher, dans cette approche féminine, une explication plus personnelle, en remontant à la source de sa famille nombreuse et de ces quatre sœurs, de leurs jeux d’enfants et du « joyeux bordel » qui rythmait sa vie. 
Preuve en est peut-être dans le plaisir qu’elle retrouve à danser ses propres pièces et à retrouver son univers, avec sa sœur parfois, la chanteuse Zaho de Sagazan dont elle chorégraphie des clips. Comme un jeu enfantin qui mimerait ce que l’on est, ce que l’on veut être et permettrait « l’insolence ». Si, à Biarritz, elle laisse sa place de danseuse et assistera pour la première fois à son programme depuis les fauteuils d’orchestre, cette envie de danse l’anime également pour créer. Avec un vrai enjeu expiatoire, « des choses un peu secrètes comme la colère ou la révolte ». Une aspiration à la liberté qui devient universelle dans une belle sororité retrouvée.

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11 septembre

Horde sensible

Rémi Rivière

Justement on vient d’en parler au filage avec les danseurs. On échangeait sur la pensée de ce programme », se réjouit Arthur Harel, lorsque les relations téléphoniques entre Biarritz et Marseille se rétablissent. Membre du Collectif artistique (La)Horde, qui a pris la direction du CCN Ballet National de Marseille il y a cinq ans, le jeune homme a tout loisir de dérouler cette « pratique nouvelle » qu’est, pour lui, la programmation d’un Ballet. Chantre d’une communauté qu’ils qualifient de « post-internet », les trois membres de (La)Horde ont gagné leur popularité en mettant en scène les danses qui se mijotent sur le web. Ce fût le cas en 2020, au Temps d’Aimer, lorsque le collectif présentait To da bone, avec des danseurs de jumpstyle qui prenaient pour la première fois la lumière du plateau en surgissant de leurs salons ou des boîtes techno hardcore. Un programme comme un manifeste, pour secouer le cocotier du monde de la danse à près de 200 battements par minute. Mais la lumière d’une révolution ne se fait qu’à l’exercice du pouvoir. 19 danseurs et un ballet junior de 10 apprentis constituent les contours de ce pays à inventer, dans l’idéal de mêler les danses aux arts visuels, à la performance et à tout ce qui raconte notre temps. Avec ce regard tranché de tendanceur culturel, le collectif gagne ses lettres de noblesse, entourant le compositeur électro Rone pour créer au châtelet Room With a View, prenant la direction artistique des chorégraphies de Madonna dans sa tournée mondiale The Celebration, ou illuminant la cité phocéenne devant plus de 20 000 personnes, en juillet dernier, sur une scène flottante plantée dans le Vieux-Port, pour un programme également intitulé Célébration. Populaire et branché, le collectif a effectivement de quoi célébrer, à commencer par Les 40 ans des CCN aux Temps d’Aimer où ils promettent un extrait de Room With a View, après le programme flottant du Vieux-Port. Mais les beat techno couronneront aussi une authentique réflexion qui s’inscrit avec justesse dans le programme de cette édition du festival. 

Répertoire
Comment aborde-t-on la question du répertoire dans les Ballets aujourd’hui ? La réponse de (La)Horde est en partie dans « la pensée de ce programme », évoquée par Arthur Harel, qui traverse l’histoire récente et les formes du Ballet, comme l’allégorie saisissante de tous les possibles. A commencer par cette mise au pas des chorégraphes contemporains, invités aujourd’hui à écrire pour les grands ensembles. Du plus formel au plus impertinent, cette narration en quatre pièces débute toutefois par une réflexion déjà bien engagée dans le Concerto de Lucinda Childs, danse minimaliste qui se concentre sur l’architecture du groupe, l’art complexe des formations. On reste dans le jeu d’ensemble avec One Of Four Periods In Time de Tânia Carvalho, qui s’en amuse en une danse sur pointes d’humour. « C’est une écriture de groupe mais quelque chose s’opère » commente Arthur Harel. Dans Mood, Lasseindra Ninja, icône queer de la danse Voguing en France, se plie pour la première fois à ce formalisme en cercle, en duo, en solo ou en trio en confrontant ironiquement sa transidentité dans les mouvements d’une structure classique. Enfin, Oona Doherty multiplie par 20 son solo minimaliste et théâtral Hope Hunt & the Ascension into Lazarus, qui avait bouleversé le Temps d’Aimer il y a quelques années, dans une danse urbaine qui souligne la masculinité toxique. Le final aux allures de rave party désenchantée de Room With a View contribuera à revendiquer tous les possibles du Ballet. Ou plutôt, modère Arthur Harel, sa capacité « à s’approprier beaucoup et donner du sens ». « Le but n’est pas que les danseurs fassent tout, défend t-il, mais qu’ils soient capables de faire ce qui fait sens ». Et ce qui fait cohésion. « On challenge les danseurs en formant un groupe pour incarner des esthétiques différentes » résume Arthur Harel. La corde sensible du Ballet. Qui peut avaler les codes de la société pour coller à l’air du temps. 

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10 septembre

Leçons de petites choses

Rémi Rivière

Robinson Cassarino est un homme heureux un jour de ciel bleu à Biarritz. Songez que le danseur et tout jeune chorégraphe, présentera ce soir son unique création, Petites choses, comme il y a deux ans dans ce même festival et comme il y a trois ans. Plus qu’un hommage rigolo à Larry Tesler, le père du copié-collé, le jeune danseur ne fait que revoir sa copie et la soumettre au même public Biarrot exigeant. Un privilège qui doit d’abord au Tremplin du festival, créé au sortir du Covid. Et puis aussi, parce que ces Petites choses-là « n’ont plus rien à voir » avec les deux précédentes, assure t-il en souriant. 
« La pièce évolue tout le temps » confie Robinson Cassarino. Au gré de ses inspirations, de l’air qu’il respire durant ses longues tournées d’interprète et des répètes qu’il peut arracher à son emploi du temps ou à ses deux danseurs, toujours les mêmes ceux-là, Benoît Couchot et Helena Olmedo, danseurs de haut vol du collectif Kor’sia. Le titre, la scénographie et le duo, restent immuables. Tout le reste est balayé, jusqu’à la musique. 
Robinson Cassarino est danseur au sein de la Compagnie Hofesh Shechter, tourne donc dans le monde entier au rythme de 100 à 150 dates par an, il ne sait plus bien. Mais il a en revanche calculé avec minutie qu’il était danseur à 80% et chorégraphe à seulement 20%. Avec son peu de temps libre, il aimerait pourtant varier ces proportions, être davantage chorégraphe, sans même attendre la retraite du danseur. « Etre jeune permet l’erreur » pense-t-il du haut de ses 27 ans, pas vraiment rassuré. Il faut dire à sa décharge que la création est un long processus et qu’il n’est pas facile d’échapper à l’emprise de Hofesh Shechter, qui influence largement la danse contemporaine actuelle. Robinson vient du Hip Hop et du contemporain, reconnaît s’inspirer de son mentor, notamment dans le jeu des lumières et la méthode de travail, mais veut proclamer sa propre histoire. « C’est comme une crise d’ado, il faut casser l’image du père » tranche t-il. Ce qui amène bien sûr la question existentielle : « est ce que j’ai quelque chose à dire ? ». La réponse d’Argia Doyhamboure Hourcade est oui. La coordinatrice du Plaza Berri, lieu des émergences, couve ce jeune danseur et toute la pépinière de chorégraphes qui a pris ses aises au sein du festival depuis 2021. Il y a d’abord le « Tremplin Corps et Graphique » qui s’y tenait hier soir. Un concours qui s’adresse aux débutants et constitue leur premier crash test, face à un public votant et emballé. Le principe est aussi contraignant qu’un podium de couturier puisqu’il impose une scène de 13,50 m sur 2 m, sollicitant un potentiel chorégraphique tout en longueur. Les prix d’interprétation, prix du jury et prix du public espèrent susciter des vocations. Ce soir en revanche, au même endroit, une véritable scène accueillera de fragiles spectacles, au cours d’une soirée intitulée « Découverte de talents émergents ». Les lauréats du tremplin de l’an passé, Luce Bron et Tamara Fernando, se produiront demain soir, afin que les progrès se mesurent pas à pas. 
Dans un autre registre, Martin Harriague, Xenia Wiest et le collectif Kor’sia ont en commun d’avoir été révélés lors d’un Concours de jeunes chorégraphes de Ballet et de trouver une place naturelle dans cette 34e édition du Temps d’Aimer la Danse. Le jury de ce prestigieux concours, constitué notamment par le Ballet de Biarritz, celui de Bordeaux et celui du Rhin, a donc bien fait d’aider ces trois-là en leur mettant le pied à l’étrier. Ce concours sert à repérer les écritures déjà capables d’ordonner de grands ensembles et à aider leur réalisation. La leçon vaudra peut-être demain pour les talents émergents qui mijotent au festival. 
Au-delà des problématiques propres aux ballets, qui sont le manque de troupes et de moyens, l’aide aux jeunes chorégraphes reste un enjeu vital du monde de la danse. Un apport à la création, un « enrichissement » même, glisse Argia Doyhamboure Hourcade. 
 

Le festival de Biarritz a toujours accompagné la création et permis de belles révélations, à l’échelle de grands Ballets, de productions locales, sans parler du festival transfrontalier de danse de rue Dantza Hirian qui promeut au Temps d’aimer de jeunes artistes. Des petites choses qui en disent long.

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9 septembre

Barock

Rémi Rivière

Bruno Pradet est un peu au festival de Biarritz comme dans sa résidence secondaire. Face à l’océan argenté, qui fomente une averse, il mesure avec gratitude le blanc-seing que lui accorde le Temps d’Aimer et, dans ce temps suspendu, dégaine son téléphone pour immortaliser l’horizon et faire râler ses proches à distance. Le meneur de la Compagnie Vilcanota retrouve ses marques —presque son public—, et sa carte blanche, donc, qu’il dévoilera ce soir. Une idée incongrue, d’avant Covid, qui lui est tombée dessus comme une évidence. « Pourquoi pas des musiciens baroques ? » résume-t-il. Si l’idée n’effleure pas forcément le commun des chorégraphes, il faut d’abord préciser que Bruno Pradet a une heureuse tendance à mêler sur scène danseurs et musiciens et qu’il s’adonne au plaisir solitaire du chant baroque depuis une vingtaine d’années. D’ailleurs, il constate stupéfait que la musique baroque s’est introduite « de façon sporadique » et sans même qu’il s’en aperçoive, dans au moins cinq de ses pièces, compte-t-il à main ouverte. Ainsi s’annonce TumulTe, comme une « envie de frotter cette musique aux corps », d’en révéler les pulsations, d’évoquer les débuts de l’opéra et des thèmes fondamentaux qui la structurent : l’amour, la mort, les émotions, l’humanité. Et le rock qui se niche dans le baroque. 
Bruno Pradet a donc convoqué une soprane et un contre-ténor, également violoniste, avec un bassiste et un guitariste, histoire de les électriser. Un arrangeur s’occupe en direct de colorer tout cela. Sur le plateau, les cinq musiciens sont rejoints par cinq danseurs, dans une configuration qui rappelle une précédente pièce présentée au festival, L’homme d’habitude, sa batterie tournoyante et le mystère de la fusion entre les danseurs de Vilcanota et les musiciens des Blérots de R.A.V.E.L.

Improvisation
Un mystère qui doit sa source à la méthode de travail de Bruno Pradet. Le chorégraphe pose un cadre et réclame l’improvisation, laissant se débattre danseurs et musiciens, chanteurs lyriques et guitare-héros dans ce monde en chantier. « Je suis un guetteur » explique-t-il. Une façon de « prendre soin » de ce que sont les danseurs, en laissant leurs corps s’exprimer librement. Et de mettre en forme l’émotion, en travaillant la matière brute et fluide de l’instant, parfois fugace, qu’il piste patiemment. Bien sûr, cette liberté est biaisée par la mystique du chorégraphe qui impose ses dogmes, à commencer par ce mariage rock et baroque. « La musique baroque est pulsatoire, comme le rock » soutient-il. Pas dans la bouillie d’une world musique métissée, mais dans le respect d’une musique sensible que l’on débarrasserait de son étiquette savante. Partir d’un thème de Vivaldi à la guitare est la promesse d’une improvisation mélodique. Tout comme d’ailleurs le violon originel. D’ailleurs, Bruno Pradet le reconnaît : « Je crois que j’aimerais faire une pièce avec davantage de pureté baroque ». Mais il y a comme une humilité chez ce chorégraphe qui réfute les propos trop tranchés, les exclamations et leur corolaire. « Je préfère toujours la sobriété » euphémise t-il. 
TumulTe annonce d’ailleurs la couleur d’un propos secoué par tous les gris qui scintillent dans l’océan. Si les thèmes baroques balayent avec gravité les émotions humaines, la pièce s’en trouve confrontée à la dureté du monde actuel. Une création brutale, traversée par le Stabat Mater Furiosa de Jean Pierre Siméon, le long cri d’une mère contre la guerre qui prolonge les angoisses du chorégraphe. « Je ne comprend pas la brutalité du monde » dit-il. La réplique est ce flot d’émotion sur le plateau, qui questionne sans morale, mais sans renoncer. Comme cette mère qui perd un enfant et reste droite, éternelle Stabat Mater de la liturgie. Une œuvre sombre qui conserve l’espoir. Les sentiments mêlés qui ramènent à notre humanité. Une pièce barock.

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8 septembre

L’ère du temps

Rémi Rivière

La troupe a un nom de compagnie aérienne et le programme évoque d’avance les courbatures du dimanche soir. Kor’sia présente Mont Ventoux et la promesse de suivre Pétrarque dans une ascension moyenâgeuse. Autant dire que le livret ainsi résumé n’est pas en mesure de concurrencer le petit film du dimanche soir, et encore moins de remplir les 1300 places du Théâtre de la Gare du Midi. Mais à Biarritz, où le festival joue depuis 34 ans à dénicher les perles, on sait se méfier des intitulés et respirer dans les embruns marins les effluves de la bonne fortune. 
C’est précisément le cas de ce collectif madrilène qui attire des danseurs d’exception comme un aimant —à l’image d’Émilie Leriche qui se produisait hier au théâtre de Bayonne dans Crocodile—, plante un propos net et tranché, invente des dispositifs artistiques en empruntant aux arts visuels ou à la dramaturgie et proclame que les arts du mouvement sont seuls capables de transmettre ce qui fonde nos sociétés. Ajoutons qu’après une pénible ascension, la descente de Pétrarque éclaira le Moyen-Âge jusqu’à la Renaissance. Et qu’à la lueur de cet humanisme originel, Mattia Russo et Antonio de Rosa, les deux directeurs de Kor’sia, ont bien l’intention de retrouver le bon chemin pour changer d’ère. « Comment aller au sommet et voir le monde différemment ? » questionnent-ils. Puissante comme une danse urbaine, libre et fluide comme une clameur contemporaine, la révolution du Mont Ventoux est en marche. « Le changement ne peut venir que de nos gestes et de nos actions » assène le capitaine Mattia Russo. Avant de donner l’assaut à la colline avec ses 9 danseurs en denim. Mesurer la pente, interroger la montagne, profiter de l’accélération de notre société en suivant ses soubresauts électroniques, chercher les points de vue, ralentir, gagner la cime, en faire un sommet pour le climat, dire la nécessité, le devoir absolu, charger, mettre en joue, décaniller le Moyen-Âge, renaître. Et qu’importe le Pétrarque, pourvu que la voie soit dégagée. 

Ascension
Plus que la vie du poète et son célèbre amour courtois, c’est donc le rite initiatique qui interpelle les deux chorégraphes, « l’ascension » même, abonde Antonio de Rosa. D’un état à l’autre, le chemin est souvent plus intéressant que la destination. Reste à trouver l’ardeur de le défricher, dans l’évidence du regain de la jeunesse. 
Ce bon sens aurait pu causer la perte de la pièce s’il s’était agit de figurer une jeunesse, de l’enfermer dans ses représentations sociales, entre mal être des banlieues, utopies révolutionnaires ou stigmatisation culturelle. Ou encore pire en recréant un Pétrarque 2.0, l’assaisonnant des ingrédients du moment, en faire un érudit instagramable et lui assigner une nouvelle tribu pour proclamer sa branchitude. Ce ne serait pas la première fois que la danse prend l’air du temps pour une partition éclairante. 
Contre cette facilité, Kor’sia explore l’ère de notre temps, plantant une jeunesse, générique et éternelle, qui s’ébranle dans sa diversité et sa marche résolue vers le changement. Parfois fulgurante ou baroque, elle est déloguée, déréférencée, entrechoquant les armures des guerres de cent ans et les caddies de supermarchés ou convoquant ses peluches dans son intime détresse. 
Du fracas d’une grande ville au grand calme de la montagne, la narration réfute en trois temps les tendances du moment pour tracer une route singulière, et sinuer l’écriture sensible et poétique actuelle. Des jeunesses éparses finissent par faire corps dans un collectif galvanisé, à la fois refuge et solution de mobilité. C’est aussi le dispositif artistique choisi par Kor’sia, collectif pluridisciplinaire, pour réclamer sa place au monde, interroger notre société et y redessiner les fondements dans la sensibilité et la poésie

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7 septembre

Félin pour l'autre

Rémi Rivière

Martin Harriague est à fleur de peau. Entendre, un peu plus que d’habitude. Car, tout de même, le chorégraphe turbulent, que précède un long roulement de tambour à chacune de ses créations, s’apprête à une nouvelle pirouette dans l’intitulé équivoque, opaque et cuirassé même, de Crocodile. À la surprise générale, le gros lézard cache un authentique duo amoureux, délicat, frêle et électrique. De quoi déployer sa belle danse ample, puisque le bayonnais monte sur les planches. On savait pourtant le danseur félin, tellurique, quand ses pattes s’enfoncent pour mieux bondir. Et le chorégraphe agile qui se repaît là où on ne l’attend pas. Capable d’ordonner le Malandain Ballet Biarritz dans une Sirène d’alarme, de mettre au pas du cabaret les meilleurs danseurs du Ballet de Wiesbaden et, comme un effronté, de goûter sans retenue au stand-up, aux marionnettes, à la musique et même au Moonwalk en tenue traditionnelle. Mais le fauve est blessé. La perte d’un être cher. La fin d’un cycle, peut-être, qu’il a tenté d’enterrer dans How the body works the dark. Et puis un peu de plomb dans la fourrure, quand la critique est déroutée par une œuvre qui se nourrit de l’instant et « compromet la danse avec la chose politique ou théâtrale ». « J’ai bien compris qu’on ne peut pas faire ce que l’on veut » se repent Martin, prêt à promettre en croisant tous les doigts, dans l’éclair de défi qu’ont les garnements récidivistes. Car s’il y a bien une constante dans l’œuvre polymorphe que le chorégraphe bayonnais est en train de bâtir, c’est son engagement. Un vrai devoir d’artiste, qui plaide pour l’environnement ou dézingue en douze pièces Donald Trump. Un douze coups que Martin rengaine comme un jouet. « J’en ai marre » renonce t-il, à deux mois des présidentielles américaines. Avant de recharger le barillet pour un « best off » à venir, ou un « worst off » prévoit-il, avec le Ballet de l’Opéra du Grand Avignon dont il vient de prendre la tête. Mais il n’empêche que ce Crocodile au cuir épais est un objet nouveau et déroutant, qui ressemble d’abord à la résolution d’un lendemain d’excès : « Vous voulez de la danse ? Et bien je vais vous en donner ! » lance-t-il depuis le théâtre de Bayonne. Cette fois, c’est son corps qui dicte. 

Engagement
De la danse sans politique, donc, mais pas sans engagement. Dans ce tournant de vie, Martin est tombé amoureux. Avec brutalité mais constance, renouant une idylle de bambin, de main tenue sur la murette de l’école, de petit mot doux où l’on coche des « je t’aime ». Une pièce « personnelle », « émotionnelle » déroule t-il. Qui laisse parler le corps, comme un retour à sa source. Martin le félin est sur une piste et se rappelle d’une danseuse «instinctive et animale », Émilie Leriche, rencontrée à Göteborg, en Suède. C’est avec elle qu’il crée aujourd’hui ce duo si fragile, dans l’idée de deux corps aimantés qui entament une relation. Aux Pays-Bas, puis en Israël, Martin Harriague a développé une méthode d’écriture instinctive de la danse, qui joue sur l’interaction et qu’il a fort justement nommé « Physical Translations ». Un art aussi fugace que celui de l’amour, qui requiert une implication de chaque souffle. Si l’un des danseurs perd le fil, la relation s’effondre. Aucune chance de se raccrocher à la partition, minimaliste, lancinante, obstinée, sans fin. Ce Canto Ostinato, œuvre phare de Simeon Ten Holt, écrit à l’origine pour deux pianos et réarrangé par Stéphane Garin pour deux xylophones marimbas, est interprété par l’Ensemble 0 dans le même péril constant de s’emmêler les baguettes. Une pièce qui ne tient donc qu’à un souffle, simultanément romantique et animal, réconciliant la culture et la biologie dans la même effluve. A un crocodile près, donc, Léviathan menaçant qui guette le faux pas de ce dialogue amoureux. C’est le croco empaillé et rafistolé qui prenait la poussière chez Martin Harriague et intriguait Émilie Leriche, au point d’en interroger la symbolique. Une force aquatique du chaos, un cataclysme en puissance, une menace de destruction qui s’oppose naturellement à la puissance créatrice de l’amour. Martin Harriague, qui débute dans ce genre, s’est débarrassé de la bête. Dans le doute, pour laisser une chance au dialogue des émotions sur la scène et laisser les corps in vivo se répondre. Pour vaincre la peur qui, pense t-il, l’empêchait d’aborder sur scène le sentiment amoureux. Mais c’est peut-être « la pièce la plus engagée que j’ai faite », retombe t-il sur ses pattes. 

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6 septembre

Un festival en ballets

Rémi Rivière

Tape dans la main, d’une édition à l’autre. Pour la promesse tenue. Le 34e festival Le Temps d’Aimer la danse monte encore en puissance en confortant son ampleur sur la scène européenne, en étendant son territoire dans 17 villes et en sortant l’artillerie lourde. Pas moins de six ballets sont à l’affiche de cette programmation et une foison de 39 compagnies accueillies, 57 spectacles programmés dans les théâtres ou les extérieurs, 42 rendez-vous gratuits et 537 artistes qui défileront entre Biarritz, Errenteria, Mauléon et jusqu’à Pau pendant 10 jours. 
« Tu es fou, mais tu es grand et je te suis » pourrait, bien sûr, clamer Sancho Panza, en jetant un œil protecteur à la première grande chevauchée de ce soir, ce Don Quixote porté par le Ballet de Berne. Tout un symbole pour figurer ce festival, sa dose d’idéal, de romantisme et les horizons de moulins à vent qui lui étaient promis par les inquisiteurs d’un contemporain triomphant. Mais le festival s’est accroché à sa propre histoire, en défendant l’éclectisme, les grands ensembles et les ballets quand ceux-ci étaient dénigrés, ringardisés ou jugés aussi poussiéreux qu’un répertoire. Le coup de ballets de ce festival en est d’autant plus revigorant. 
Car les ballets sont aujourd’hui les lieux de création les plus passionnants. D’abord, en raison de leur force de frappe. 50 danseurs permanents composent par exemple les Ballets de Monte-Carlo, qui clôtureront le festival sur une intrigue shakespearienne. Un ballet narratif en deux actes, entre l’opéra et la comédie musicale, une écriture néoclassique inventive, des décors à couper le souffle. Une démonstration de force comme on en voit peu et qui laisse une empreinte profonde, à l’image de ces 300 danseurs de ballet qui ont participé, avec le Malandain Ballet Biarritz, à la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques sur les bords de Seine. Gardiennes du temple, du répertoire, de l’art des formations —ces dessins que composent les entrelacs des danseurs— les grandes formes ne sont pas des parades mais une discipline propre, un savoir-faire qui se joue de tous les répertoires et des écritures les plus contemporaines, en alignant des danseurs d’exception. L’inverse est impossible et n’importe quelle troupe contemporaine qui se risquerait sur Le Lac s’y casserait les pointes. 

Changer le monde
« La modernité des ballets n’est pas à mettre en cause aujourd’hui » balaye Thierry Malandain, devant sa porte. Le directeur artistique du festival n’a que l’embarras du choix pour étayer, à commencer par ce Don Quichotte de la Manche que le jeune chorégraphe taiwanais Po-Cheng Tsai, en ingénieux hidalgo, revisite sans nostalgie. Sous cette autorité fougueuse et déjà auréolée de prestigieux prix, les danseurs classiques explorent une gestuelle orientale, frôlant les arts martiaux, pour faire cracher à cette œuvre fondatrice son sens intact. « Est-il vraiment si ridicule de vouloir changer le monde ? », pose le chevalier à la triste figure. 
La question restera en suspend jusqu’à dimanche, pour envelopper une rencontre professionnelle, au cœur du festival, de tous les directeurs de ballets de l’Hexagone. L’art du ballet est tout de même en perdition, tempère Thierry Malandain et si le Concours des jeunes chorégraphes de Ballets, organisé par les Ballets du Rhin, de Biarritz et de Bordeaux, déniche les artistes capables de travailler avec les grands ensembles, le manque de moyens continue de leur brûler les ailes. Avec la rentrée sociale, Thierry Malandain inscrirait bien les grands ballets au registre des doléances, comme un service public, entre la poste du village et le boulanger. 
C’est ce village idéal que propose durant 10 jours le festival, faisant se rencontrer les grands esprits et les publics les plus variés. Le Ballet de Metz partira sur un air de tango en mission au mur à gauche de Bardos et dans les Jai Alai de Saint-Jean-Pied-de-Port et de Mauléon. Le CCN Ballet national de Marseille déroulera le tapis rouge à quatre écritures percutantes de femmes, inscrivant le ballet dans les codes du moment. Le Ballet de l’Opéra Grand Avignon, qui se prête au jeu de la Compagnie La Parenthèse, tissera un fil séduisant entre le romantisme et notre époque. Un joli trait d’union pour dire que les ballets traversent les époques. Ce que décortique d’ailleurs la chorégraphe Xenia Wiest, au sein du Ballett Schwerin, en déclinant Bach à tous les temps de l’indicatif, filant la métaphore entre une musique baroque qui résiste au remix, avec la danse classique qui devient moderne au sein des ballets. Une démonstration de force qui, à l’image de la programmation de ce 34e festival de danse de Biarritz, devient « un acte politique », brandit Thierry Malandain.

Le journal vidéo

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16 septembre
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